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Le témoignage de notre esprit

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Edition numérique © Yves Petrakian, Juillet 2003




« Ce qui fait, notre gloire (Dans la traduction anglaise il a, notre joie. De là la manière dont le texte est entendu ici.) c'est le témoignage que notre conscience nous rend, que nous nous sommes conduits dans le monde, en simplicité et en sincérité devant Dieu, non point avec une sagesse charnelles, mais avec la grâce de Dieu. » (2Co 1:12)



Tel est le langage de quiconque croit véritablement en Christ, aussi longtemps qu'il demeure dans la foi et dans l'amour. «Celui qui me suit», dit le Seigneur, «ne marchera point dans les ténèbres;» et tandis qu'il a la lumière, il se réjouit en elle; comme il a «reçu le Seigneur Jésus, il marchera en lui ;» et tandis qu'il marche en lui, l'objet de cette exhortation de l'apôtre:

«réjouissez-vous toujours en Notre seigneur ; je vous le dis encore, réjouissez-vous,» se réalise chaque jour dans son âme.

Mais pour que notre maison ne soit point bâtie sur le sable -- de peur que la pluie venant à tomber, les torrents à se déborder et les vents à souffler, et à fondre sur elle, cette maison ne tombe et que sa ruine ne soit grande, -- je me propose dans ce discours d'indiquer la nature et les fondements de cette joie chrétienne. Nous savons d'une manière générale, que c'est une douce paix, une calme satisfaction d'esprit procédant du témoignage de sa conscience, dont parle ici l'apôtre. Mais pour mieux comprendre ceci, il sera nécessaire de peser toutes ses expressions, par où nous verrons aisément ce qu'il faut entendre par la conscience et par son témoignage, et comment celui qui a ce témoignage, se réjouit sans cesse.

Et d'abord que faut-il entendre par la conscience ? que signifie ce mot que chacun répète? On croirait la réponse très difficile, à voir le nombre de volumes qu'on a écrits sur le sujet et comme on a mis à contribution tous les trésors de l'érudition ancienne et moderne pour l'expliquer. Encore est-il à craindre que toutes ces recherches savantes ne l'aient guère éclairé. La plupart de ces auteurs ne l'ont-il pas au contraire embrouillé, «obscurcissant le conseil par des paroles sans science,» et rendant difficile ce qui est en soi-même simple et facile à comprendre? Mettez de côté, en effet, les mots inintelligibles et la chose sera bientôt claire pour tout homme droit de coeur.

Dieu nous a créés des êtres pensants, capables de percevoir les choses du présent et de nous rappeler par la réflexion celles du passé. En particulier, nous sommes capables de percevoir ce qui se passe dans nos coeurs et dans notre vie; de savoir ce que nous sentons ou faisons, et cela, soit au moment même, soit lorsque la chose est passée. C'est dans ce sens que nous disons que l'homme est un être conscient, qu'il a la conscience ou la perception intime de son passé et de son présent, de ses dispositions et de sa conduite. Mais le mot conscience a ordinairement un sens plus étendu. Il n'implique pas simplement la connaissance de notre vie présente ou passée. Rappeler par son témoignage les choses passés ou présentes, c'est l'un des offices de la conscience, mais ce n'est pas le principal : sa grande affaire c'est d'excuser ou d'accuser, d'approuver ou de désapprouver, de condamner ou d'absoudre.

Il est vrai que quelques écrivains modernes emploient ici plus volontiers un nouveau terme, celui de sens moral; mais la vieille appellation paraît préférable à la nouvelle, ne serait-ce que parce qu'elle est plus connue et plus usuelle, et par cela même plus intelligible. Les chrétiens ont d'ailleurs un motif irrécusable pour la préférer, c'est qu'elle est scripturaire ; c'est le terme dont il a plu à la sagesse divine de se servir dans les écrits inspirés.

Et suivant le sens dans lequel ce terme y est ordinairement employé, particulièrement dans les Épîtres de saint Paul, nous pouvons entendre par conscience, la faculté que Dieu a implantée dans toute âme d'homme, de percevoir ce qui est bien ou mal dans son coeur ou dans sa vie, dans ses dispositions, ses pensées, ses paroles et ses actions.

Mais quelle est la règle par laquelle les hommes doivent juger du bien ou du mal, la règle qui doit diriger leur conscience ? La règle des païens, comme l'apôtre l'enseigne ailleurs, c'est la loi écrite dans leur entendement ; «n'ayant point la loi,» non, dit-il, «ils se tiennent lieu de loi eux-mêmes, montrant que ce qui est prescrit par la loi est écrit dans leurs coeurs» par le doigt de Dieu ; «puisque, leur conscience leur rend témoignage et que leurs pensées les accusent ou les défendent. (Ro 2:14,15) ; mais, pour les chrétiens, la règle pour distinguer le bien du mal c'est la parole de Dieu, ce sont les écrits de l'Ancien et du Nouveau Testament; c'est tout ce que les prophètes et les saints hommes des temps anciens ont écrit, étant poussés par le Saint-Esprit ; c'est toute cette «Écriture divinement inspirée qui est utile pour enseigner» tout le conseil de Dieu, «pour reprendre,» pour condamner, ce qui y est contraire, «pour corriger» l'erreur et pour nous «instruire ou nous élever dans la justice (1Ti 3:16).»

Le chrétien voit en elle la lampe de ses pieds, la lumière de son sentier. Elle seule est sa règle pour juger du juste et de l'injuste, du bien ou du mal. Rien n'est bon à ses yeux que ce qu'elle prescrit soit directement, soit par une déduction inattaquable ; rien n'est mal que ce qu'elle défend, soit expressément, soit par la conséquence certaine de son enseignement. Ce que l'enseignement direct ou indirect de l'Ecriture ne prescrit ni ne défend, il le retarde comme chose indifférente; comme n'étant en soi ni bien ni mal ; car la règle extérieure qu'elle lui fournit suffit pleinement à diriger sa conscience, et c'est la seule qu'il reconnaisse.

Et si, dans le fait, il se dirige par cette règle, alors il a «la réponse d'une bonne conscience devant Dieu.» Une bonne conscience, c'est ce que l'apôtre appelle ailleurs «une conscience sans reproche.» Ainsi ce qu'il exprime dans une occasion en disant : «j'ai vécu jusqu'à ce jour en toute bonne conscience devant Dieu (Act 23:1),» il le répète ailleurs en ces termes : «Je travaille à avoir toujours la conscience sans reproche devant Dieu et devant les hommes (Act 24:16).» Mais pour cela quatre choses sont indispensables :

1° Une droite intelligence de la parole de Dieu, de sa «volonté bonne, agréable et parfaite» à notre égard, telle qu'elle s'y trouve révélée, car il est impossible de marcher d'après une règle qu'on ne comprend point.

2° Une connaissance, hélas, bien rare, la connaissance de nous-mêmes, la connaissance de notre coeur et de notre vie ; de nos dispositions au dedans et de notre conduite au dehors ; car, sans connaître ces choses, il est impossible, que nous les comparions avec notre règle.

3° L'accord de notre coeur, de notre vie, de nos dispositions, de notre conduite de nos pensées, de nos paroles, de nos oeuvres, avec cette règle, avec les Ecritures de Dieu. Car sans cela, notre conscience, si nous en avons une, est une mauvaise conscience.

4° Enfin, une perception intérieure de cet accord ; et c'est précisément dans cette perception, dans ce sentiment intérieur, habituel, que consiste cette bonne conscience cette conscience sans reproche, dont parle l'apôtre.

Mais que celui qui désire avoir cette conscience sans reproche, prenne garde d'en bien poser le fondement. Qu'il se souvienne que «nul ne peut poser d'autre fondement que celui qui a été posé, savoir Jésus-Christ,» et qu'il se souvienne de plus, que nul ne peut bâtir sur lui, si ce n'est par une foi vivante, que nul n'est rendu participant de Christ, jusqu'à ce qu'il puisse rendre clairement ce témoignage : «Je vis par la foi au Fils de Dieu,» maintenant révélé. dans mon coeur, «qui m'a aimé. et qui s'est donné lui-même pour moi.» La foi seule est cette évidence, cette conviction, cette démonstration des chose invisibles, par laquelle, les yeux de notre entendement étant ouverts, et la lumière divine venant les éclairer, nous «voyons les merveilles de la loi de Dieu, nous en voyons l'excellence, la pureté, nous voyons la hauteur et la profondeur, la longueur et la largeur de cette loi et de tous les commandements qu'elle contient. C'est par la foi que «contemplant la lumière de la gloire de Dieu en la face de Jésus-Christ,» nous voyons comme dans un miroir, tout ce qui est en nous, tous les mouvements les plus secrets de nos âmes. Et c'est par elle seule que peut se répandre dans nos coeurs ce saint amour de Dieu qui nous rend capables de nous aimer les uns les autres comme Christ nous a aimés. Par elle s'accomplit pour tout «l'Israël de Dieu» cette promesse pleine de grâce : «Je mettrai mes lois dans leur esprit et les graverai dans leur coeur (Heb 8:10) ;» par où leur âme est mise en complet accord avec sa sainte et parfaite loi, «toutes leurs pensées étant amenées captives à l'obéissance de Christ.»

Et comme un mauvais arbre ne peut porter de bons fruits, de même un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits. Ainsi la vie du croyant, aussi bien que son coeur, est mise en complet accord avec la. règle des commandements de Dieu ; et c'est dans le sentiment de cet accord, qu'il peut rendre gloire à Dieu et répéter avec l'apôtre : «Ce qui fait notre joie, c'est le témoignage que nous rend notre conscience que nous nous sommes conduits dans le monde , en simplicité et en sincérité devant Dieu, non point avec une sagesse charnelle, mais avec la grâce de Dieu.»

«Nous nous sommes conduits.» Le sens du terme. original est extrêmement large, il embrasse tout ce. qui se rapporte, soit à notre corps, soit à notre âme. Il comprend tous les mouvements de notre coeur, il s'étend à chacune de nos actions et de nos paroles, à l'emploi de tous nos membres et de toutes nos facultés, à la manière de faire valoir, pour Dieu ou pour les hommes, tout talent que nous pouvons avoir reçu.

«Nous nous sommes conduits dans le monde ;» même dans le monde des impies : non pas seulement parmi les enfants de Dieu (ce qui serait comparativement peu de chose), mais parmi les enfants du diable, parmi ceux qui sont «plongés dans le mal» ou qui «sont dans le malin.» Quel monde que celui-là ! comme il est imprégné et pénétré de l'esprit qu'il respire sans cesse ! Si notre Dieu est bon et fait ce qui est bon, le Dieu de ce monde et tous ses enfants sont méchants, et, autant que Dieu le permet, ils se montrent méchants en faisant du mal à tous les enfants de Dieu. Comme leur père, les méchants se tiennent aux aguets, ou rôdent autour des fidèles, cherchant qui ils pourront dévorer, usant de fraude ou de force, de ruses secrètes ou de violence ouverte, pour faire périr ceux qui ne sont pas du monde. Ils ne cessent de faire la guerre à nos âmes, cherchant par l'emploi de vieilles ou de nouvelles armes, et par toutes sortes d'artifices, à les ramener dans les pièges du diable, et dans la route large qui mène à la perdition.

C'est dans un tel monde que nous nous sommes conduits, en toutes choses, «en simplicité et en sincérité.» D'abord en simplicité : c'est-à-dire avec cet oeil simple que recommande le Seigneur. «L'oeil est la lumière du corps. Si donc ton oeil est sain, tout ton corps sera éclairé.» En d'autres termes, ce que l'oeil est au corps, l'intention l'est à toutes nos actions et à toutes nos paroles : si donc cet oeil de ton âme est sain, ou simple, toutes tes paroles et actions seront pleines de lumière, pleines de la lumière des cieux, d'amour, de paix et de joie par le Saint-Esprit.

Nous sommes simples de coeur quand l'oeil de notre esprit n'est fixé que sur Dieu ; quand Dieu seul est, en toutes choses, notre but ; quand il est notre Dieu, notre portion, notre force, notre bonheur, notre grande récompense, notre tout, pour le temps et l'éternité. Nous avons la simplicité, lorsque le ferme dessein, l'intention unique de le glorifier, de nous soumettre et de nous conformer à sa sainte volonté, pénètre notre âme, remplit tout notre coeur, et est le ressort constant de toutes nos pensées, de tous nos désirs et de toutes nos résolutions.

En second lieu, nous nous sommes conduits dans ce monde et devant Dieu «en sincérité.» Voici quelle paraît être la différence entre ces deux termes : la simplicité concerne l'intention elle-même, et la sincérité l'exécution de cette intention ; et cette sincérité ne se rapporte pas seulement à nos paroles, mais, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, à toute notre manière de vivre. Il ne faut pas l'entendre ici dans le sens restreint où saint Paul lui-même l'emploie quelquefois, comme synonyme de dire la vérité ou de s'abstenir de fraude, de ruse, de dissimulation ; mais dans un sens plus étendu, comme atteignant en effet le but que se propose la simplicité. Ici donc elle implique, qu'en réalité, nous ne parlons et n'agissons que pour la gloire de Dieu ; que non seulement toutes nos paroles y tendent, mais qu'en effet elles y contribuent, que toutes nos actions suivent un cours égal uniformément subordonné à ce grand but ; et que, dans toute notre vie nous nous dirigeons continuellement, et tout droit, vers Dieu, poursuivant d'un pas ferme notre marche dans la route de la sainteté, dans les voies de la justice, de la miséricorde et de la vérité.

Cette sincérité, l'apôtre la désigne comme étant «devant Dieu,» ou, plus exactement, comme une sincérité divine; une «sincérité de Dieu,» pour nous empêcher de la confondre avec la sincérité des païens (car ils avaient aussi l'idée d'une certaine sincérité, qui leur inspirait une grande vénération) et en, même temps pour indiquer quel en est l'objet et le but, comme de toute autre vertu chrétienne, puisque tout ce qui n'a pas, au fond, Dieu pour objet, tombe au niveau des «pauvres et misérables éléments du monde.» En l'appelant «sincérité de Dieu,» il montre aussi qui en est l'auteur, savoir le «Père des lumières» de qui descend «toute grâce excellente et tout dont parfait;» mais il le déclare encore plus nettement en ajoutant: «non point avec une sagesse charnelle, mais avec la, grâce de Dieu.

«Non point avec une sagesse charnelle» : c'est comme s'il disait : «Nous ne pouvons nous conduire ainsi dans le monde, ni par quelque force innée de notre intelligence, ni par quelque science ou quelque sagesse acquise naturellement. Nous ne pouvons acquérir cette simplicité et pratiquer cette sincérité, ni à force de bon sens, ni par l'effet d'un bon caractère on d'une bonne éducation. Elles dépassent et toute, notre puissance de résolution et tous nos préceptes de philosophie. Nous n'y saurions être façonnés, ni par l'influence des moeurs, ni par l'éducation humaine la plus raffinée. Et moi Paul, je n'y pouvais atteindre, quels que fussent d'ailleurs mes avantages, tant que je demeurais dans la chair, dans mon état de nature, et que mes efforts n'avaient pour principe que la sagesse charnelle et naturelle.»

Et certes, si quelqu'un pouvait y atteindre par cette sagesse, Paul lui-même l'aurait pu : car il nous serait difficile de concevoir un homme mieux favorisé par les dons de la nature et de l'éducation: Outre que par sa capacité naturelle il ne le cédait probablement à aucun de ses contemporains, il avait encore les avantages que donne l'instruction, avant étudié à l'école de Tarse, puis aux pieds de Gamaliel qui, pour la science et l'intégrité, jouissait alors de la plus haute réputation chez les Juifs. Et, quant à l'éducation religieuse, rien ne lui manquait, car il était «pharisien, fils de pharisien» ayant été élevé dans cette secte ou profession, la plus exacte du judaïsme. Et, en cela même, il avait profité plus que tous ceux de son âge, ayant plus de zèle pour tout ce qu'il croyait être agréable à Dieu, et «quant à la justice de la loi, il était sans reproche.» Mais il était impossible qu'il parvînt par là à cette simplicité, à cette sincérité de Dieu. Tout ce travail fut en pure perte, comme il le montre bien en s'écriant dans le sentiment profond et saisissant de son impuissance «Ce qui m'était un gain je l'ai regardé comme une perte à cause de Christ; et même je regarde toutes les autres choses comme une perte, en comparaison de l'excellence de la connaissance de Jésus-Christ, mon Seigneur! (Phi 3:7,8)»

Il était impossible qu'il parvînt jamais au but, autrement que par cette excellente connaissance de Jésus-Christ, notre Seigneur, ou, comme dit notre texte «par la grâce de Dieu.» Par «la grâce de Dieu,» il faut quelquefois entendre cet amour, cette miséricorde gratuite et imméritée, par laquelle je suis, moi pécheur, réconcilié avec Dieu, par les mérites de Christ. Mais ici cette expression désigne plutôt cette efficace de Dieu le Saint-Esprit qui opère en nous «et la volonté et l'exécution selon son bon plaisir.» Dès l'instant que la grâce de Dieu, dans le premier sens, c'est-à-dire son amour rédempteur est manifesté à nos âmes, la grâce de Dieu, dans le second sens, c'est-à-dire l'efficace de son Esprit s'exerce en elles. Alors Dieu nous rend capables d'accomplir, ce qui, «quant à l'homme,» était impossible. Alors nous pouvons bien régler notre conduite. Nous pouvons par Christ qui nous «fortifie,» «faire toutes choses» dans la lumière et l'efficace de cet amour. Nous avons alors, ce que nous n'aurions pu obtenir par la sagesse charnelle, «le témoignage de notre conscience, que c'est en simplicité et en sincérité de Dieu que nous nous conduisons en ce monde.»

Tel est le vrai fondement de la joie du chrétien; et d'après cela nous comprenons sans peine que celui qui a ce témoignage se réjouisse sans cesse. «Mon âme,» peut-il dire, «mon âme magnifie le Seigneur et mon esprit se réjouit en Dieu, qui est mon Sauveur.» Je me réjouis en Celui qui, par son amour immérité, par sa tendre et gratuite miséricorde m'a appelé à cet état de salut dans lequel, par sa puissance, je demeure ferme. Je me réjouis, car son Esprit rend témoignage à mon esprit, que je suis racheté par le sang de l'Agneau, et que, par la foi en Lui, je suis membre du corps de Christ, enfant de Dieu et héritier du royaume des cieux. Je me réjouis, car ce même Esprit, en me donnant le sentiment de l'amour de Dieu pour moi, produit en mon coeur l'amour pour Lui et me donne d'aimer, à cause de Lui, tout enfant d'Adam, toute âme qu'il a faite. Je me réjouis, car il me donne d'avoir en moi «les sentiments que Jésus-Christ à eus» : -- la simplicité, par où, dans tous les mouvements de mon coeur, je ne regarde qu'à Lui ; par où je puis, dans un constant amour, fixer les regards de mon âme sur Celui qui m'a aimé et s'est donné Lui-même pour moi ; par où je n'ai pour but que Lui et sa glorieuse volonté dans tout ce que je puis faire, dire ou penser; -- la pureté, par où je borne à Dieu mes désirs, «crucifiant la chair avec ses affections et ses convoitises,» attachant mes affections «aux choses d'en haut et non à celles qui sont sur la, terre;» --la sainteté, par où, recouvrant l'image de Dieu, mon âme est renouvelée à sa ressemblance ; -- et la sincérité de Dieu, par où je dirige toutes mes paroles et mes actions, de manière à servir à sa gloire. Oui, je me réjouis et je me réjouirai, car «ma conscience me rend témoignage par le Saint-Esprit,», par la lumière dont il l'éclaire sans cesse, que je marche «d'une manière digne de la vocation que Dieu m'a adressée,» que je m'abstiens «de toute apparence de mal,» fuyant le péché comme on fuit un serpent ; qu'en tant que j'en ai l'occasion, je fais, selon mon pouvoir, toute sorte de bien à tous les hommes ; que tous mes pas suivent le Seigneur et que je fais ce qui lui est agréable. Je me réjouis, car par la lumière du Saint-Esprit de Dieu, je vois et je sens que toutes mes oeuvres sont faites en Lui et que c'est même Lui qui fait en moi toutes mes oeuvres. Je me réjouis, car je vois par cette lumière qui luit dans mon coeur, que j'ai le pouvoir de marcher dans ses voies, et que, par sa grâce, je ne m'en détourne ni à droite ni à gauche.

Tel est le fondement, telle est la nature de cette joie dont un chrétien adulte se réjouit sans cesse. Et de ce qui a été dit, nous pouvons tirer aisément une première conséquence :

1° C'est que cette joie n'est point une joie naturelle. Elle ne vient d'aucune cause naturelle ; elle n'est pas le fruit d'une excitation soudaine. Ces causes peuvent produire un élan de joie passager ; mais le chrétien se réjouit sans cesse. Elle ne peut s'expliquer par la santé ou le bien-être corporel, par une constitution saine et robuste ; car elle est toute aussi grande, peut-être même plus grande que jamais, dans la maladie et dans la douleur. Plusieurs chrétiens peuvent dire qu'ils n'ont jamais éprouvé une joie comparable à celle qui remplit leur âme, lorsque leur corps était presque épuisé par la maladie et consumé par la douleur. Surtout elle ne saurait être attribuée à la prospérité terrestre, à la faveur du monde, à l'affluence des biens temporels; car c'est lorsque leur foi a été mise dans la fournaise et éprouvée par toutes sortes d'afflictions extérieures, que les enfants de Dieu se sont particulièrement réjouis et même d'une joie ineffable, en Celui qu'ils aimaient quoique ne le voyant point encore. Et qui se réjouit jamais plus que ces hommes qui étaient regardés «comme les balayures du monde,» qui erraient çà et là privés de tout, dans la faim, dans le froid, dans la nudité, souffrant non seulement les insultes et la moquerie, mais encore les liens et la prison, et qui montrèrent finalement que «leur vie ne leur était point précieuse pourvu qu'ils pussent achever leur course avec joie.»

2° Une seconde conséquence de ce qui précède c'est que la joie du chrétien n'est point le fruit d'une conscience aveugle, incapable de distinguer le bien du mal. Loin de là, cette joie lui fut étrangère jusqu'à ce que ses yeux fussent ouverts, jusqu'à ce qu'il eût reçu des sens spirituels, propres à discerner ce qui est spirituellement bien ou mal. Et maintenant sa vue est loin de se troubler : jamais elle ne fut plus perçante; elle est si prompte à voir ce qu'il y a de plus délicat, que l'homme naturel en est tout étonné. Comme un atome de poussière est visible dans un rayon de soleil, de même pour celui qui marche dans la lumière, dans les rayons du Soleil incréé, tout atome de péché est visible. D'ailleurs il ne ferme plus les yeux de sa conscience, ; son âme ne connaît plus le sommeil. Elle a toujours les yeux de l'âme grands ouverts. Pour lui plus «de mains pliées pour être couché !» plus «de dormir.» Toujours en sentinelle sur la tour et prêtant l'oreille aux paroles que son Seigneur lui adresse; il trouve en cela même un sujet de joie, il se réjouit continuellement «de voir Celui qui est invisible.»

3° Il est aussi bien évident que la joie du chrétien ne vient pas d'une conscience insensible et comme émoussée. Ce peut être une source de quelque joie, pour ceux «dont le coeur destitué d'intelligence est rempli de ténèbres,» c'est-à-dire endurci, appesanti et sans intelligence spirituelle. Par suite de cette insensibilité, ils peuvent même trouver de la joie dans le péché et c'est ce qu'ils appelleront sans doute liberté ! -- et ce n'est pourtant qu'une fatale ivresse, un engourdissement de l'âme, l'insensibilité stupide d'une conscience cautérisée ! le chrétien, au contraire, a la sensibilité la plus exquise et dont jamais il n'aurait pu auparavant se faire une idée. Jamais il n'avait eu une délicatesse de conscience comme celle qu'il a depuis que l'amour de Dieu règne dans son coeur. C'est encore pour lui un sujet de joie et de gloire. Dieu a exaucé sa prière de tous les jours : Oh! puisse mon âme sensible, fuir à la première approche du mal que je déteste ! -- que ma conscience soit aussi délicate que la prunelle de l'oeil ; qu'elle sente le moindre attouchement du péché !

Pour conclure enfin : la joie chrétienne est une joie qui trouve son aliment à obéir à Dieu, à aimer Dieu et à garder ses commandements, et non pas toutefois comme pour remplir les conditions de l'alliance des oeuvres ; comme si, par des oeuvres ou une justice personnelles, nous avions à obtenir le pardon et la bienveillance de Dieu ; car nous sommes déjà pardonnés et reçus en grâce par la miséricorde de Dieu en Jésus-Christ, non pas comme si, par notre propre obéissance, nous avions à conquérir la vie la résurrection de la mort du péché : nous avons déjà la vie par la grâce de Dieu «Lorsque nous étions morts dans nos péchés, il nous a vivifiés» et maintenant «nous sommes vivants â Dieu par Jésus-Christ. notre Seigneur.» Mais nous nous réjouissons de marcher selon l'alliance de grâce, dans un saint amour et une joyeuse obéissance. Nous nous réjouissons de savoir qu'étant justifiés par sa grâce «nous n'avons pas reçu la grâce de Dieu en vain ;» nous nous réjouissons de ce que Dieu nous ayant réconciliés avec lui-même, non à cause de notre volonté et de nos efforts propres, mais par le sang de l'Agneau, nous «courons» revêtus de sa force, «dans la voie de ses commandements.» Il nous a ceints de force pour le combat et c'est avec joie que nous combattons «le bon combat de la foi.» Nous nous réjouissons, en Celui qui vit dans nos coeurs par la foi, «de saisir la vie éternelle.» C'est ici notre joie, que comme notre «Père agit continuellement» nous aussi (non par notre force ou notre sagesse, mais par la force de son Esprit gratuitement donné en Christ), nous agissons, nous faisons les oeuvres de Dieu. Puisse-t-il opérer en nous tout ce qui est agréable à ses yeux ! Qu'à Lui soit la gloire aux siècles des siècles !