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Sur la folie mondaine


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Edition numérique © cmft, octobre 2008



Mais Dieu lui dit : Insensé. (Luc 12,20)

I.
1. Mais un de ces insensés est ordinairement plus sage à ses propres yeux que sept hommes qui donnent de sages conseils. — S’il était possible que le vrai chrétien méprisât quelqu’un, il mépriserait de bon cœur ceux qui se croient ainsi les seuls sages. Vous pouvez voir le caractère de l’un de ces hommes, tracé au naturel dans les versets qui précèdent mon texte. — Les champs d’un homme riche avaient, dit le Sauveur, rapporté en abondance, et il pensait en lui-même, disant : que ferai-je, car je n’ai point où je puisse assembler mes fruits ? Puis il dit : voici ce que je ferai ; j’abattrai mes greniers, et j’en bâtirai de plus grands, et j’y assemblerai tous mes revenus et mes biens. Puis je dirai à mon âme : mon âme, tu as beaucoup de biens assemblés pour beaucoup d’années, repose-toi, mange ; bois, et fais grande chère, Mais Dieu lui dit ; insensé !

2. Je me propose, avec le secours de Dieu,
Premièrement, d’expliquer et de développer ces quelques paroles si pleines de sens,
Secondement, de les appliquer à votre conscience.

Premièrement, d’expliquer et de développer ces quelques paroles.
Peu de temps auparavant, Jésus avait donné un avertissement solennel à un homme qui lui parlait de partager un héritage : il lui avait dit : gardez-vous d’avarice ; car encore que les biens abondent à quelqu’un, il n’a pourtant pas la vie, c’est-à-dire le bonheur, par ses biens ; et ce fut pour établir cette importante vérité, que notre Seigneur raconta ce fait remarquable. Il est probable que ce fait, ayant eu lieu peu de jours auparavant, était encore présent à la mémoire de quelques personnes présentes. — Les champs d’un homme avaient rapporté en abondance. Les fruits de la terre composaient surtout les richesses des anciens. — Et il pensait en lui-même, disant : que ferai-je ? C’est bien là le langage du besoin et de la détresse, la voix d’un affligé qui soupire sous le poids d’un fardeau ! Que feras-tu ? — Quoi ! N’y a-t-il pas à ta porte des gens auxquels Dieu t’a commandé de donner ce que tu peux épargner ? — Que feras-tu ? Donne aux pauvres et distribue tes biens, donne à manger à ceux qui ont faim, des vêtements à ceux qui sont nus ; deviens le père de l’orphelin, le mari de la veuve ; donne en un mot gratuitement ce que tu as reçu gratuitement. Mais non ! il est plus sage que cela ; il connaît une meilleure voie.
Puis il dit : voici ce que je ferai : —sans en demander la permission à Dieu, ou sans penser à Lui pas plus que si Dieu n’existait pas ; j’abattrai mes greniers, et j’en bâtirai de plus grands et j’y assemblerai tous mes revenus et mes biens. — Mes biens ! Ils sont tout autant à toi que les nuages qui passent au-dessus de ta tète, que les vents qui soufflent, et que tu peux, sans doute, renfermer dans le creux de ta main ! — Puis je dirai à mon âme : mon âme, tu as beaucoup de biens assemblés pour beaucoup d’années.Mon âme, tu as beaucoup de biens ! le blé, le vin, et l’huile sont donc les biens d’un esprit immortel ? — Assemblés pour beaucoup d’années ! Qui te l’a dit ? Si c’est le diable, ne le crois pas : il est menteur dès le commencement ; s’il le voulait, il ne pourrait pas prolonger tes jours : car Dieu seul est le dispensateur de la vie et de la mort ; et s’il le pouvait il ne le voudrait pas, mais il le traînerait tout de suite à son horrible demeure. — Mon âme, repose-toi, mange, bois, et fais grande chère. Comme chaque partie de cet étonnant soliloque est pleine de folie ! mange et bois ; ton âme donc mange et boit ? Oui, mais ce ne sera pas des aliments terrestres : tu te nourriras bientôt des flammes, et tu boiras des eaux du lac de feu et de souffre. Mais alors seras-tu dans le repos, dans la joie ? Ah ! il n’y aura plus de joie dans cet horrible séjour : ces cavernes n’entendront d’autre musique que celle des pleurs, des cris, et des grincements de dents.

3. Mais tandis qu’il s’applaudissait de sa sagesse, Dieu lui dit : insensé, en cette même nuit, ton âme te sera redemandée ; et les choses que tu as préparées, à qui seront-elles ?

4. Considérons ces paroles un peu plus attentivement. — Que ferai-je ? Mais la réponse n’est-elle pas toute prête ? — Fais autant de bien que tu peux en faire ; — satisfais de ton abondance aux besoins de ton prochain ; et tu ne manqueras jamais de quelque chose à faire. Ne peux-tu pas trouver quelqu’un qui manque des choses nécessaires à la vie, quelqu’un qui soit serré par le froid ou la faim, qui soit dénué de vêtements, qui n’ait point de lieu pour reposer sa tête, quelqu’un qui soit dévoré par la maladie, ou qui languisse en prison ? — Si tu considérais bien ces paroles de notre Seigneur : vous avez toujours des pauvres avec vous, tu ne demanderais plus : que ferai-je ?

5. Comme les desseins de ce pauvre insensé étaient différents ! j’abattrai mes greniers, et j’en bâtirai de plus grands ; et j’y assemblerai tous mes biens. — Il vaudrait tout autant les enfouir dans la terre ou les jeter dans la mer : cela répondrait aussi bien au but pour lequel Dieu te les a confiés.

6. Mais examinons encore plus la dernière partie de sa résolution. Je dirai à mon âme : mon âme tu as beaucoup de biens assemblés pour beaucoup d’années ; repose-toi, mange, bois et fais grande chère. — Quoi ! sont-ce là les biens d’un esprit immortel ? Ton corps peut plutôt se nourrir des vents, que ton âme de ces biens terrestres. Engager un esprit immortel à boire et à manger, quel conseil pour un esprit fait l’égal des anges, créé à l’image incorruptible de Dieu, et destiné à se nourrir, non de choses corruptibles, mais du fruit de l’arbre de vie, lequel croît au milieu du paradis de Dieu !

7. Il ne faut donc pas s’étonner si Dieu lui dit : insensé. Par ce motif, n’y en eût-il même point d’autre, en cette même nuit, ton âme te sera redemandée. —
« Or es-tu né pour mourir,
pour quitter ce corps de poudre,
et ton âme tremblante doit-elle prendre son vol
vers un pays inconnu,
pays ténébreux,
que l’œil de l’homme n’a point sondé,
et où toutes les choses sont oubliées ? »
et tes choses que tu as préparées, à qui seront-elles alors ?


II.
1. Je m’étais proposé en second lieu, de faire une application de ces considérations, qui, très certainement, sont des plus importantes qui puissent entrer dans le cœur de l’homme. — Dans un sens, cette application a déjà été faite ; car tout ce qui a été dit, n’était qu’application ; mais je désire que chaque homme qui entend ou qui lit ces paroles, les applique directement à son âme.

2. Quiconque entend ces paroles : les champs d’un homme avaient rapporté en abondance, doit se demander : cela a-t-il jamais été mon cas ? Ai-je eu plus de biens que ce qu’il me fallait ? Quelles étaient alors mes pensées ? Me disais-je en moi-même : que ferai-je ? — Etais-je rendu triste par mon abondance ! Pensais-je avoir beaucoup de biens assemblés pour beaucoup d’années ? — Plusieurs années ! hélas ! qu’est ce que ta vie, fut-elle même le plus prolongé possible ? N’est-ce pas une vapeur qui paraît et vite s’évanouit ? Ne dis donc pas : j’abattrai mes greniers ; mais dis à Dieu dans le secret de ton cœur : Seigneur, sauve-moi ou je péris ! Voilà, mes richesses augmentent ! Ne permets pas que j’y abandonne mon cœur ! Tu me vois sur un terrain glissant ; c’est, pourquoi entreprends l’œuvre pour moi !
« Soutiens-moi, Seigneur, ou je tombe !
Donne-moi la main miséricordieuse :
mon secours n’est qu’en toi ! »
Vois, Seigneur, comme ma fortune s’accroît ! Rien que ton pouvoir ne saurait m’empêcher d’y donner mon cœur, et d’être précipité dans l’abyme !

3. Seigneur que faut-il que je fasse ? — D’abord efforce-toi d’avoir une connaissance claire de ton danger, et prie souvent et avec ardeur, pour que tu n’en perdes pas le sentiment : prie, pour que tu puisses toujours te sentir sur le bords d’un précipice. Puis, il faut que ton cœur dise : ayant plus de biens, je ferai, avec la grâce de Dieu, plus de bien qu’auparavant. — Tous les nouveaux biens que Dieu m’a donnés, je suis décidé à les dépenser avec soin, en de nouvelles œuvres de miséricorde.

4. Ne parle donc plus de tes biens, de tes revenus, puisque tu sais qu’ils ne t’appartiennent pas, mais qu’ils sont à Dieu. La terre et tout ce qu’elle renferme appartiennent au Seigneur : il est le grand propriétaire des cieux et de la terre ; il ne peut pas se dépouiller de sa gloire : il doit rester le Seigneur, le maître de tout ce qui existe. Il ne t’a laissé des biens entre les mains, que pour le but qu’il a prescrit. Tu ne sais pas combien de temps, il te les laissera ; peut-être ne sera-ce que jusqu’à demain. C’est pourquoi ne penses pas à plusieurs années : ne sais-tu pas que tu es une créature d’un jour ? Que ton souffle peut être anéanti par Celui qui te l’a donné, à chaque instant, même quand tu n’y penses pas ? — Comment sais-tu, si, quand tu seras dans ton lit, tu n’entendras pas cette voix : cette nuit même ton âme te sera redemandée ?

5. Ta vie n’est-elle pas aussi mobile qu’un nuage ? Aussi rapide qu’une vapeur sur l’eau ? Elle s’évanouit comme une ombre, pour ne plus revenir. — Pour beaucoup d’années ! Qui est assuré d’un seul jour ? Et Dieu ne donne-t-il pas une preuve de sa sagesse et de sa bonté, en tenant ta vie en ses mains, et en te la dispensant moment après moment, afin que tu puisses toujours le rappeler de vivre comme si chaque jour était le dernier de ton existence ? Et après les quelques jours que tu auras passé sous le soleil, on dira bien vite de toi :
« Il ne reste de lui que quelques grains de poussière ;
c’est là tout ce qu’il est devenu ; et tel sera le sort de tous les orgueilleux ! »

6. Considérez encore l’extrême folie de ces paroles : mon âme, tu as beaucoup de biens. Les produits de la terre sont donc une nourriture pour un esprit d’origine divine ? Y a-t-il quelque objet terrestre qui puisse nourrir ces êtres d’un ordre plus élevé ? Quel rapport y a-t-il entre ces esprits éternels et ces morceaux de terre ? — Examinez le reste de ce sage soliloque et voyez comment il s’applique à votre cas. — Mon âme, repose-toi. Vaine espérance ! La terre peut-elle donner le repos à un esprit ? — mange, bois et fais bonne chère. Quoi ! Ton âme peut-elle manger de cette manne céleste, la nourriture des anges et la seule faite pour les esprits ? — Mais cette manne ne croît pas ici-bas : elle ne se trouve que dans le paradis de Dieu.

7. Mais suppose que cette voix qui commande en maître à la vie et à la mort, te dise : cette nuit ton âme te sera redemandée, que deviendront ces biens que tu as amassés ? Hélas, ils ne sont pas à toi : tu n’as plus aucune part dans ces choses qui sont sous le soleil ; c’est pourquoi ces choses terrestres sont pour toi, comme si elles n’existaient plus ; tu es sorti nu du sein de ta mère, et nu tu retourneras à la poudre. Tu as amassé beaucoup de biens ; mais à quelle fin ? Pour tout laisser derrière toi ! Pauvre ombre ! Tu es dépouillé maintenant de tout : l’espérance même ne te reste pas.

8. Observez la remarque que le Seigneur a faite sur toute cette scène : il en est ainsi de celui qui fait de grands amas de biens pour soi-même, et qui n’est pas riche en Dieu : telle est sa folie, que les mots ne peuvent pas l’exprimer. Cet homme qui amasse de grands biens pour les laisser bientôt, quelque sage qu’il soit à ses yeux et aux yeux de son prochain, est en réalité le plus grand insensé qui existe ; et celui qui cherche le bonheur dans ces choses qui périssent, amasse des trésors pour lui-même ; ce qui est tout à fait incompatible avec le caractère du riche en Dieu, avec la pratique de ce commandement : mon fils, donne moi ton cœur. Celui qui est un enfant de Dieu peut vraiment dire :
« Mes richesses sont en haut ;
l’amour de Dieu est tout mon trésor ; »
Il peut déclarer que tout le désir de son âme est vers l’Éternel.

9. Toi qui lis ces paroles, sonde bien ton cœur. — Où as-tu placé ton trésor jusqu’à ce moment ? Où l’amasses-tu à cette heure même ? Travailles-tu à être riche en Dieu ? ou amasses-tu des biens sur la terre ? Toi qui te conduis avec soin quant aux choses extérieures, et qui remplis exactement les devoirs extérieurs, garde-toi de l’avarice, de cet amour pour l’argent, qui est respecté dans le monde, et du désir d’amasser des trésors sur la terre. Amasse des trésors dans les cieux. Dans peu de jours, tu entreras sur une terre de ténèbres, ou les fruits de la terre ne te serviront de rien, où tu ne pourras ni manger, ni boire, ni satisfaire à tes sens ; quel avantage retireras-tu de tout ce que tu as amassé dans ce monde ? De tout ce que tu auras laissé derrière toi ? Laissé derrière toi ! Quoi ! Ne pourras-tu donc rien emporter avec toi dans les demeures éternelles ? Oh ! amasse donc, avant de quitter ce monde, des trésors qui ne périssent jamais.