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La circoncision du cœur

Tous droits réservés.
Edition numérique © Yves Petrakian, Juillet 2003




« La circoncision est celle du coeur, qui se fait selon l'Esprit et non selon la lettre. » (Ro 2 29.)



Une remarque bien triste qu'a faite un homme excellent, c'est qu'on ne peut prêcher maintenant les devoirs les plus essentiels du christianisme sans courir risque d'être pris, par une grande partie des auditeurs, pour un homme qui annonce des doctrines «nouvelles.» La plupart ont si bien «laissé écouler» la substance de cette religion dont ils retiennent encore la profession, que dès qu'on leur propose, l'une de ces vérités qui distinguent l'esprit de Christ de l'esprit du monde , ils s'écrient: «Nous t'entendons dire certaines choses fort étranges, nous voudrions bien savoir ce que c'est»; -- quoiqu'on ne leur prêche que «Jésus et la résurrection», avec cette conséquence rigoureuse qui en résulte : Si Christ est ressuscité, vous devez mourir au monde pour ne vivre qu'à Dieu.

Dure parole pour l'homme naturel, qui est vivant au monde et mort à Dieu ; parole qu'on ne lui persuadera pas facilement de recevoir comme vérité de Dieu, à moins que, par l'interprétation, on ne la rende vaine et sans effet. Quand les paroles de l'Esprit de Dieu sont prises dans leur sens simple et naturel, il ne les reçoit point; «elles lui sont une folie» et «il ne peut même les entendre , car c'est spirituellement qu'on en juge» ; - pour les comprendre, il faut nécessairement ce sens spirituel qui ne s'est point encore éveillé en lui, et dans l'absence duquel il rejette, comme imagination des hommes, ce qui est la sagesse de Dieu et la puissance de Dieu.»

Que «la circoncision» soit «celle du coeur, qui se fait selon l'esprit et non selon la lettre», -- que la marque distinctive d'un vrai disciple de Christ, d'une âme agréable à Dieu, ne soit ni la circoncision, ni le baptême, ni rien d'extérieur, mais un bon état d'âme, un coeur et un esprit «renouvelés à l'image de celui qui nous a créés», c'est une de ces vérités qui ne se discernent que spirituellement. Et c'est ce que l'apôtre indique lui-même en ajoutant : «Un tel homme tire sa louange, non des hommes, mais de Dieu» Comme s'il disait: Qui que tu sois, toi qui suis ainsi ton Maître, n'espère pas que le monde, que les hommes qui ne le suivent pas, te disent : «Cela va bien, bon et fidèle serviteur !» Sache que la circoncision du coeur, le sceau de ta vocation, est une folie pour le monde. Résigne-toi à attendre ta louange jusqu'au jour où ton Seigneur paraîtra. En ce jour-là, tu seras loué de Dieu, dans la grande assemblée des hommes et des anges.

Je me propose de rechercher d'abord en quoi consiste cette circoncision du coeur, et d'indiquer ensuite

quelques réflexions qui découlent naturellement de cet examen.

I

Recherchons d'abord en quoi consiste cette circoncision du coeur, qui recevra sa louange de Dieu. D'une manière générale, c'est cette disposition d'âme que l'Écriture appelle sainteté et qui implique directement la purification de tout péché, de toute souillure de la chair et de l'esprit;» qui suppose, par conséquent, que nous avons revêtu les vertus qui étaient en Christ, et que nous sommes renouvelés «dans l'esprit de notre entendement pour être «parfaits comme notre Père qui est dans les cieux est parfait.»

Mais, pour entrer dans les détails, la circoncision du coeur renferme l'humilité, la foi, l'espérance et la charité. L'humilité, juste appréciation de nous-mêmes, nettoie nos âmes de cette haute estime de nos perfections, de cette fausse idée de nos talents et de nos mérites, qui est le vrai fruit d'une nature corrompue. Elle exclut entièrement cette vaine pensée : Je suis riche, je suis sage, je n'ai besoin de rien ; elle nous convainc d'être , par nature «pauvres, misérables, aveugles et nus»; elle nous montre que ce qu'il y a de mieux en nous n'est encore que péché et vanité ; que la confusion , l'ignorance et l'erreur dominent notre intelligence ; que des passions insensées, terrestres, sensuelles, diaboliques usurpent le gouvernement de notre volonté ; en un mot, qu'il n'y a «rien d'entier en nous», et que tous «les fondements» de notre nature «sont renversés.»

En même temps nous recevons la conviction que nous sommes incapables par nous-mêmes de sortir de

notre misère; que, sans l'Esprit de Dieu, nous ne pouvons faire autre chose qu'entasser péché sur péché; que lui seul peut opérer en nous, par sa toute-puissance, soit la volonté du bien, soit l'exécution; et qu'il nous est non moins impossible de produire en nous une bonne pensée sans l'assistance surnaturelle de cet Esprit, que de nous créer ou de nous renouveler nous-mêmes en justice et en vraie sainteté.

Le résultat nécessaire de cette juste idée de nos péchés et de notre impuissance naturelle, c'est le mépris de cette «gloire qui vient des hommes,» de cet honneur qu'on rend d'ordinaire à nos mérites supposés. Celui qui se connaît lui-même n'estime ni ne désire des applaudissements qu'il sait ne pas mériter. C'est pourquoi il «lui importe fort peu d'être jugé d'aucun jugement d'homme.» La comparaison de ces jugements, favorables ou défavorables, avec le témoignage de sa conscience au dedans, lui donne toute raison de penser que le monde est comme le Dieu de ce monde, qui fut «menteur dès le commencement.» Et, même quant à ceux qui ne sont pas du monde, quoi qu'il désire, si c'est la volonté de Dieu, qu'ils le regardent comme quelqu'un qui veut être un fidèle économe des biens de son Seigneur, si cela peut lui donner le moyen de se rendre plus utile à ses frères ; toutefois ne désirant leur approbation pour aucun autre motif, il est bien loin d'en faire son appui; car il est assuré que, ce que Dieu veut, il aura toujours des instruments pour l'accomplir, puisqu'il peut «de ces pierres mêmes» se préparer des serviteurs qui fassent sa volonté.

Telle est cette humilité d'esprit qu'ont apprise de Christ ceux qui suivent son exemple et marchent sur ses traces. Et cette connaissance de leur misère, qui les nettoie toujours plus de l'orgueil et de la vanité, les dispose à embrasser avec empressement la seconde grâce renfermée dans la circoncision du coeur, savoir cette foi qui seule est capable de les rétablir, qui est le seul remède donné, sous les cieux, pour guérir leur maladie.

Le vrai conducteur des aveugles, la sûre lumière de ceux qui sont dans les ténèbres, le parfait docteur des ignorants et des simples , c'est la foi. Mais une foi «qui soit puissante, par la vertu de Dieu, pour renverser les forteresses,» pour abolir tous les préjugés d'une fausse raison, toutes les maximes erronées que révèrent les hommes, toutes les mauvaises coutumes, toute cette «sagesse du monde qui est folie devant Dieu,» une foi qui puisse détruire toutes les imaginations, tous les raisonnements, «tous les conseils et toute hauteur qui s'élève contre la connaissance de Dieu, et amener toutes les pensées captives et les soumettre à l'obéissance de Christ.»

A celui qui a cette foi, «toutes choses sont possibles.» Dieu a illuminé les yeux de son entendement et il reconnaît quelle est sa, vocation, savoir, de glorifier le Dieu qui l'a racheté à si grand prix, de le glorifier dans son corps et dans son esprit qui, maintenant, lui appartiennent par rédemption aussi bien que par création. Il sait «quelle est l'infinie grandeur du pouvoir» de Celui qui, ayant ressuscité Christ d'entre les morts, peut aussi, «par son Esprit qui habite en nous,» nous ressusciter de la mort du péché. C'est cette foi qui est notre victoire sur le monde ; cette foi qui n'est pas seulement un ferme assentiment à toute la Bible, et en particulier à cette vérité : que Christ est venu au monde pour sauver les pécheurs; -- «qu'il a porté nos péchés en son corps sur le bois; -- qu'il est la propitiation pour nos péchés, et non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux de tout le monde;» -- mais qui est, de plus, la révélation de Christ en nous, Une assurance, une conviction divine de sa miséricorde , de son amour libre et gratuit pour nous, pécheurs; la ferme confiance que le Saint-Esprit nous inspire, en la miséricorde divine, la confiance par laquelle tout vrai croyant peut s'écrier : «Je sais que mon Rédempteur est vivant» - que, «j'ai un avocat auprès du Père» ; que Jésus-Christ, le Juste, est «la propitiation pour mes péchés,» «qu'il m'a aimé, qu'il s'est donné lui-même pour moi;» -- et que, réconcilié moi-même avec Dieu par lui, j'ai, «par son sang, la rédemption, la rémission des péchés.»

Une telle foi ne peut manquer de montrer avec évidence le pouvoir de son auteur; elle le fait en délivrant les enfants de Dieu du joug du péché, en «purifiant leurs consciences des oeuvres mortes,» et les purifiant de telle sorte qu'ils ne sont plus contraints d'obéir au péché dans sers convoitises; mais qu'au lieu de lui «livrer leurs membres comme instruments d'iniquité, ils se consacrent maintenant entièrement à Dieu, «comme de morts étant faits vivants.»

Ceux qui par la foi sont ainsi nés de Dieu, ont aussi la ferme consolation de l'espérance. C'est la troisième chose comprise dans la circoncision du coeur : savoir le témoignage que leur propre esprit leur rend, aussi bien que l'Esprit de Dieu d'être les enfants de Dieu. Au fond, c'est aussi le Saint-Esprit qui leur donne cette joyeuse confiance d'avoir un coeur droit devant Dieu, c'est lui qui les assure qu'ils font maintenant par sa grâce les choses qui lui sont agréables, qu'ils sont maintenant dans le sentier qui mène à la vie et qu'ils persévéreront par la bonté de Dieu jusqu'à la fin. C'est lui qui leur donne une espérance vive de recevoir de Dieu toutes sortes de biens, une perspective joyeuse de cette couronne de gloire qui leur est réservée dans les cieux. Par cette ancre ferme, le chrétien demeure inébranlable au milieu des flots agités de ce monde, également à l'abri de deux funestes écueils : la présomption et le désespoir. Il n'est ni découragé par une fausse idée de la «sévérité» du Seigneur, ni prêt à «mépriser les richesses de sa bonté.» On ne le voit ni craindre que la course qui lui est proposée ait des difficultés au-dessus de la force qu'il a pour les vaincre, ni s'attendre à les trouver si légères qu'elles cèdent dans la lutte avant qu'il ait déployé toute sa force. Si, d'un côté, l'expérience qu'il a déjà dans le combat chrétien l'assure que «son travail ne sera, pas vain,» s'il fait, selon son pouvoir tout ce qu'il a. occasion de faire, elle ne lui laisse point, de l'autre , la vaine pensée qu'aucune vertu puisse être déployée , aucune louange obtenue par des coeurs lâches et des mains languissantes, par d'autres que ceux qui, poursuivant le même but que le grand apôtre des Gentils, disent comme lui:

«Je cours, non à l'aventure; je frappe, mais non pas en l'air; mais je traite durement mon corps et je le tiens assujetti, de peur qu'après avoir prêché aux autres, je ne sois moi-même rejeté.»

C'est par la même discipline que tout «bon soldat de Christ» doit s'endurcir à supporter les travaux ; affermi et fortifié par ce moyen , il pourra renoncer non seulement aux oeuvres de ténèbres, mais à tout désir, à toute affection qui n'est point conforme à la loi de Dieu. Car «quiconque a cette espérance en lui» dit saint Jean, «se purifie lui-même, comme lui aussi est pur.» Il s'applique chaque jour, par la grâce de Dieu et par le sang de l'alliance, à nettoyer les derniers recoins de son âme des convoitises qui la possédaient et la souillaient auparavant; à se purifier d'impureté, d'envie, de malice, de colère, de toute passion ou disposition qui est selon la chair, qui en découle ou qui flatte sa corruption ; car il sait que son corps étant le temple de Dieu, il ne doit y admettre rien de profane ou d'impur et que la sainteté convient pour toujours à la demeure qu'a daigné choisir l'Esprit de sainteté.

Mais il te manque encore une chose, ô homme, qui que tu sois, qui joins à une humilité profonde, à une foi ferme, une vive espérance, et qui as ainsi, en grande partie, nettoyé ton coeur de sa souillure native. A toutes ces choses, ajoute encore, si tu veux être parfait, l'amour; tu auras alors la circoncision du coeur. La charité est «le but du commandement, l'accomplissement de la loi.» Ce qui se dit de la charité, ce sont des choses glorieuses : elle est l'essence, l'esprit, la vie de toute vertu. Elle n'est pas seulement «le premier et le grand commandement,» mais la réunion de tous les commandements en un. «Toutes les choses qui sont justes, toutes les choses qui sont pures, toutes les choses qui sont aimables» ou honorables; «s'il y a quelque vertu ou quelque louange,» tout cela se résume en un seul mot : -- la charité. Dans l'amour est la perfection, la gloire, le bonheur. Car voici la loi royale du ciel et de la terre : «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton, âme de toute ta pensée et de toutes tes forces.»

Ce n'est pas que ce commandement nous défende d'aimer autre chose que Dieu, car il renferme aussi l'amour pour nos frères; ni qu'il nous interdise, comme quelques-uns en ont eu l'étrange idée, de prendre plaisir en autre chose qu'en Dieu. C'est faire faire de Celui qui est la source de la sainteté l'auteur direct du péché, puisqu'il a rendu le plaisir inséparable de l'usage des choses par lesquelles il nous faut soutenir la vie qu'il nous a donnée. Tel n'est évidemment pas le sens de son commandement. Mais le Seigneur lui-même et ses apôtres nous l'expliquent trop fréquemment et trop clairement, pour qu'il y ait de l'incertitude. Tous d'une voix ils nous rendent témoignage que ces diverses déclarations : «Le- Seigneur ton Dieu est un seul Seigneur;» - «tu n'auras point d'autre Dieu que moi;» - «tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toute ta force,» -- reviennent à dire : le seul Bien parfait sera votre but suprême. Ne désirez, pour elle-même, qu'une chose, la jouissance de Celui qui est tout en tous. Ne proposez à vos âmes qu'un seul bonheur, -- l'union avec Celui qui les a faites, la «communion avec le Père et avec le Fils,» l'union avec le Seigneur dans un même Esprit. Vous n'avez qu'un seul but à poursuivre jusqu'à la fin :jouir de Dieu dans le temps et dans l'éternité. Désirez les autres choses, en tant, seulement, qu'elles concourent à celle-ci. Aimez la créature, en tant seulement qu'elle conduit au Créateur. Mais qu'en toutes vos démarches, ce soit là, votre glorieux point de mire. Que toute affection, toute pensée, toute parole, toute oeuvre y soit subordonnée. Dans vos craintes, dans vos désirs, dans tout ce que vous fuyez ou recherchez, et quoi que vous puissiez faire, penser ou dire, que tout se rapporte à votre félicité en Dieu, le but, comme la source unique de votre être.

N'ayez, nous disent le Seigneur et ses apôtres, d'autre but, d'autre but suprême que Dieu. Ainsi notre Seigneur : «Une seule chose, est nécessaire,» et «si ton oeil est simple» c'est-à-dire uniquement fixe, sur cette seule chose, «tout ton corps sera éclairé.» Ainsi l'apôtre Paul : «Je fais une chose, je cours vers le but, vers le prix de la vocation céleste de Dieu en Jésus-Christ.» Ainsi saint Jacques : «Pécheurs, nettoyez vos mains, et vous qui avez le coeur partagé, purifiez vos cœurs.» Ainsi saint Jean

«N'aimez point le monde, ni les choses qui sont dans le monde; car tout ce qui est dans le monde, la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l'orgueil de la vie, ne vient point du Père, mais du monde.» -- Chercher son bonheur dans ce qui flatte, soit la convoitise de la chair, en charmant les sens extérieurs; soit la convoitise des yeux ou de l'imagination, par sa nouveauté, sa grandeur et sa beauté; soit l'orgueil de la, vie, par la pompe, la grandeur, le pouvoir, ou par l'admiration et les applaudissements qui en sont la conséquence ; -- cela n'est, point du Père, -- cela ne vient ni n'est approuvé du Père des esprits, -- mais est du monde ; c'est la marque distinctive de ceux qui disent : «Nous ne voulons point que celui-ci règne sur nous.»

II

Maintenant que j'ai achevé de montrer en quoi consiste cette circoncision du coeur, qui obtiendra la louange de Dieu, il me reste à présenter quelques réflexions qui découlent naturellement de cet examen et par lesquelles chacun peut juger s'il appartient lui même à Dieu ou au monde.

1° Et d'abord on voit clairement, par ce qui précède, que nul ne peut prétendre à la louange qui vient de Dieu, s'il n'a un coeur circoncis, s'il n'est petit à ses propres yeux, vil et sans valeur à son propre jugement; s'il n'est profondément convaincu de cette corruption innée, par laquelle il a si complètement perdu la justice originelle, étant enclin à tout mal, sans amour pour le bien, corrompu et abominable; ayant cette affection de la chair qui est inimitié contre Dieu, qui ne se soumet pas à la loi de Dieu et ne peut s'y soumettre; s'il ne sent continuellement au plus profond de l'âme, que sans l'action habituelle de l'Esprit, il ne peut ni penser, ni désirer, ni dire, ni faire rien de bon, ni d'agréable à Dieu.

Personne, n'a de titre à la louange de Dieu, jusqu'à ce qu'il sente qu'il a besoin de Dieu; jusqu'à ce qu'il cherche effectivement «la gloire qui vient de Dieu seul,» qu'il cesse de désirer, de rechercher celle qui vient des hommes, ne faisant exception que pour celle qui se rattache à l'approbation de Dieu.

2° Une autre vérité qui résulte naturellement de ce que nous avons dit, c'est que nul n'obtiendra la louange qui vient de Dieu, si son coeur n'est circoncis par la foi, -- par cette foi qui est un «don de Dieu;» si désormais refusant d'obéir à ses sens, à ses appétits, à ses passions, ou même à cette aveugle conductrice d'aveugles, à cette raison naturelle, si idolâtrée du monde, -- il ne vit et marche par la foi, il ne se conduit en toutes choses «comme voyant Celui qui est invisible,» ne regardant pas aux choses temporelles qu'on voit, mais aux «choses éternelles qu'on ne voit point» et dans toutes ses pensées, ses actions et ses conversations, dans ses désirs et ses desseins, montrant qu'il est «entré au dedans du voile» où Jésus est assis à la droite de Dieu.

Plût à Dieu qu'ils connussent mieux cette foi, ceux qui emploient tant de temps et de peine à poser un autre fondement; à baser la religion sur l'éternelle, convenance des choses, sur l'excellence intrinsèque de la vertu et sur la beauté des actions qui en découlent; sur les raisons d'être, comme ils les appellent, du bien et du mal, et sur les relations mutuelles des êtres! Ou leurs expositions sont conformes à la vérité scripturaire, ou elles y sont contraires ; si elles y sont conformes, pourquoi détourner des hommes droits «des choses les plus importantes de la loi» et leur embrouiller l'esprit par un nuage de termes qui n'interprètent les plus simples vérités que pour les obscurcir? Et si elles y sont contraires, qu'ils considèrent qui est l'auteur de cette doctrine; si ce peut être un ange du ciel, puisqu'il prêche un autre Évangile que celui de Jésus-Christ; et quand ce serait un ange, nous savons que Dieu lui-même a prononcé sa sentence : «Qu'il soit anathème !»

Si notre Évangile nous montre la foi comme le seul fondement des bonnes oeuvres, et Christ comme le seul fondement de la foi, il nous enseigne tout aussi clairement que nous ne sommes point ses disciples tant que nous refusons de le reconnaître pour l'auteur de nos oeuvres, aussi bien que de notre foi, lesquelles il nous inspire et qu'il rend parfaites par son Esprit. «Si quelqu'un n'a pas l'Esprit de Christ, celui-là n'est point à lui.» Cet Esprit seul peut ressusciter les morts, les animer du souffle de la vie chrétienne, et, par la grâce dont il les prévient et les accompagne, accomplir et réaliser leurs bons désirs. «Tous ceux qui sont ainsi conduits par l'Esprit de Dieu, sont enfants de Dieu.» Telle est la courte et simple exposition que Dieu nous donne de la vraie religion et de la vertu ; et «personne ne peut poser d'autre fondement.»

3° Il découle encore de ce que nous avons dit que nul n'est véritablement «conduit par l'Esprit,» si cet «Esprit ne rend témoignage avec son esprit qu'il est enfant de Dieu;» s'il ne voit devant lui le prix et la couronne, s'il ne «se réjouit dans l'espérance de la gloire de Dieu.» Qu'elle est donc grande l'erreur de ceux qui ont enseigné que dans le service de Dieu ne doit point entrer la recherche de notre bonheur ! Au contraire, Dieu nous enseigne expressément et à plusieurs reprises, à avoir égard à la rémunération, à mettre en balance avec nos peines «la joie qui nous est proposée,» et avec«notre légère affliction du temps présent, le poids éternel d'une gloire infiniment excellente.» Oui, nous sommes «étrangers à l'alliance de la promesse,» jusqu'à ce que Dieu, «selon sa grande miséricorde, nous ait fait renaître en nous donnant une espérance vive de posséder l'héritage qui ne se peut corrompre, ni souiller, ni flétrir.»

Mais s'il en est ainsi, il est grand temps qu'ils prennent garde à leurs âmes, ceux qui, loin de sentir la joyeuse assurance de remplir les conditions de l'alliance et l'espérance d'avoir part à ses promesses, trouvent à redire à l'alliance elle-même et à ses conditions, et prétendent qu'elles sont trop sévères et que jamais personne n'a pu ni ne pourra s'y conformer. Qu'est-ce autre chose qu'accuser Dieu et lui reprocher d'être un maître dur, qui exige de ses serviteurs plus qu'il ne leur donne le moyen d'accomplir ? Comme s'il se moquait de ses faibles créatures en les liant à des impossibilités, en leur commandant de vaincre là où ni leur propre force, ni même sa grâce ne peuvent leur suffire !

Peu s'en faut qu'il n'y ait dans ces blasphèmes de quoi tranquilliser la conscience de ceux qui, se jetant dans un autre extrême, espèrent d'accomplir les commandements de Dieu sans aucun travail! Mais quel vain espoir, pour un enfant d'Adam, de s'attendre à voir le royaume de Dieu et de Christ sans lutter, sans s'efforcer d'abord «d'entrer par la porte étroite;» pour un homme conçu et né dans le péché et qui n'est que méchanceté au dedans, d'espérer jamais «devenir pur comme son Seigneur est pur,» à moins de marcher sur ses traces, de se charger chaque jour de sa croix, de «couper sa main droite, de s'arracher l'oeil droit et de le jeter loin de lui;» vain espoir de rêver le renouvellement de ses opinions, de ses sentiments, de ses pensées, la sanctification entière de son esprit, de son âme, de son corps, sans renoncer à soi-même continuellement et en toutes choses !

N'est-ce pas là le moins que nous puissions inférer de notre citation de saint Paul, qui, bien que vivant pour l'amour de Christ, «dans les faiblesses, dans les opprobres, dans les misères et les persécutions, dans les afflictions extrêmes,» bien que recommandable par toutes sortes de signes et de miracles et ayant été «ravi au troisième ciel,» n'en estimait pas moins, comme on l'a dit avec énergie, «que toutes ses vertus seraient mal assurées, et même son salut en danger, sans ce renoncement constant à lui-même?» «Je cours,» dit-il, «non pas à l'aventure, je frappe, mais non pas en l'air,» par où il nous montre bien que celui qui ne court pas ainsi, qui n'exerce pas ainsi, jour par jour, le renoncement, court à l'aventure et sans plus d'effet que celui qui frappe en l'air.

4° Enfin (et c'est la dernière observation que nous tirons de ce qui précède), c'est aussi inutilement qu'il parle «de combattre le combat de la foi,» c'est vainement qu'il espère atteindre la couronne incorruptible, celui dont le coeur n'est pas circoncis par la charité. L'amour, qui retranche à la fois la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l'orgueil de la vie, qui engage l'esprit, l'âme, le corps, en un mot, notre être entier dans la poursuite de ce seul objet, la charité est si essentielle à l'enfant de Dieu, que sans elle on est considéré devant le Seigneur comme «mort en vivant.» «Quand même je parlerais toutes les langues des hommes et même des anges, si je n'ai point la charité, je ne suis que comme l'airain qui résonne ou comme la cymbale qui retentit. Et quand même j'aurais le don de prophétie et que je connaîtrais tous les mystères et la science de toutes choses; et quand même j'aurais toute la foi jusqu'à transporter les montagnes, si je n'ai point la charité, je ne suis rien.» Bien plus, «quand je distribuerais tout mon bien pour la nourriture des pauvres et que même je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n'ai point la charité, cela ne me sert de rien.»

En elle est donc le sommaire de la loi parfaite ; en elle est la vraie circoncision du coeur. Que l'esprit retourne avec tout le cortége de ses affections, à Dieu qui l'a donné! Que les fleuves retournent au lieu d'où ils découlent ! Dieu ne veut point de nous d'autres sacrifices que le sacrifice du coeur ; c'est là celui qu'il a choisi. Qu'il lui soit offert continuellement par Christ, dans les flammes d'un saint amour. Et qu'aucune créature ne soit admise à le partager avec Lui : car Dieu est un Dieu jaloux. Il ne partage point son trône avec un autre : il veut régner sans rival. Qu'aucun désir, aucun dessein n'y soit admis qui n'ait Dieu seul pour objet suprême. Ainsi marchèrent jadis ces enfants de Dieu qui, quoique morts, nous disent encore : «Ne désirez de vivre que pour louer le nom du Seigneur ; que toutes vos pensées, vos paroles et vos oeuvres tendent à sa gloire. Attachez votre coeur à Lui, et, entre les autres choses, à celles seules qui sont en Lui et de Lui. Que votre âme soit tellement remplie de son amour, que vous n'aimiez rien, si ce n'est point Lui! Ayez des intentions pures dans toutes vos actions, un constant désir de sa gloire. Fixez vos regards sur la sainte espérance de votre vocation, et faites-y servir toutes les choses de ce monde.» Alors, et seulement alors, nous avons en nous «les sentiments qui étaient en Jésus-Christ;» lorsque dans tout mouvement de nos coeurs, de nos lèvres, de nos mains, nous ne nous proposons rien qui n'ait Dieu pour but et qui ne lui soit soumis ; lorsque aussi dans nos actions, nos pensées, nos paroles, nous cherchons à faire, «non pas notre volonté,» «mais la volonté de celui qui nous a envoyés;» lorsque, «soit que nous mangions, ou que nous buvions, ou que nous fassions quelque autre chose, nous faisons tout pour la gloire de Dieu.»