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Le Sermon sur la Montagne, discours 3

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Edition numérique © Yves Petrakian, Juillet 2003




« Heureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu. Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés enfants de Dieu. Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des cieux est à eux. Vous serez heureux lorsqu'à cause de moi on vous dira des injures, qu'on vous persécutera, et qu'on dira faussement contre, vous toute sorte de mal. Réjouissez-vous alors et tressaillez de joie, parce que votre récompense sera grande dans les cieux; car on a ainsi persécuté les prophètes qui ont été avant vous. » (Mat 5:8-12)




Quelles excellentes choses nous dit la Bible sur l'amour de notre prochain! Il est «l'accomplissement de la loi, le but du commandement.» Sans cet amour, tout ce que nous pouvons posséder, faire ou souffrir, n'est d'aucun prix aux yeux de Dieu. Mais l'amour du prochain dont il est question, c'est celui qui prend sa source dans l'amour de Dieu ; sans cela, il n'a de lui-même aucune valeur. Il nous convient donc d'examiner soigneusement sur quel fondement repose l'amour que nous portons à notre prochain, de rechercher s'il est réellement fondé sur l'amour de Dieu, si «nous l'aimons parce qu'il nous a aimés le premier,» si nous avons le coeur pur, car c'est là un fondement qui ne peut être ébranlé : «Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu.»

«Ceux qui ont le coeur pur» sont ceux dont Dieu a purifié le coeur, «comme Lui aussi est pur;» ceux qui sont purifiés par la foi dans le sang de Christ, de toute affection contraire à la sainteté; ceux qui étant nettoyés de toute souillure de la «chair et de l'esprit, achèvent leur sanctification dans la crainte» et dans l'amour «de Dieu.» La puissance de la grâce de Dieu les purifie -- de l'orgueil, par la plus profonde pauvreté d'esprit; -- de la colère et de toute passion contraire à la bonté et à la patience, par la douceur et la débonnaireté; -- de tout désir autre que celui de plaire à Dieu, de le posséder, de le connaître et de l'aimer de plus en plus, par cette faim et cette soif de la justice qui absorbe maintenant toute leur âme, en sorte que maintenant ils aiment le Seigneur de tout leur coeur, de toute leur âme, de toute leur pensée et de toute leur force.

Mais combien peu les faux docteurs de toutes les époques ont donné d'attention à cette pureté de coeur! Ils se sont contentés d'enseigner simplement aux hommes à s'abstenir de ces souillures extérieures que Dieu a nominativement défendues; mais ils n'ont pas frappé au coeur, et, en n'avertissant pas de se garder de la corruption intérieure, ils l'ont, par le fait, encouragée.

Notre Seigneur nous en donne lui-même un bien remarquable exemple dans les paroles suivantes (Mat 5:27-32) : «Vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens : Tu ne commettras point d'adultère;» et, en expliquant ce commandement, ces aveugles, conducteurs d'aveugles, n'insistaient que sur l'obligation de s'abstenir de l'acte extérieur. «Mais moi je vous dis que quiconque regarde une femme pour la convoiter, a déjà commis l'adultère avec elle dans son coeur,» car Dieu «aime la vérité dans l'intérieur,» «il sonde le coeur et il éprouve les reins,» et si tu inclines ton coeur à l'iniquité, le Seigneur ne t'écoutera point.

Et, Dieu n'admet aucune excuse pour ne pas rejeter tout ce qui est une occasion d'impureté. «Si donc ton oeil droit te fait tomber dans le péché, arrache-le et jette-le loin de toi; car il vaut mieux pour toi qu'un de tes membres périsse, que si tout ton corps était jeté dans la Géhenne.» Si des personnes qui te sont aussi chères que ton oeil droit, sont une occasion pour toi d'offenser ainsi Dieu, un moyen d'exciter dans ton âme des désirs contraires à la sainteté, n'hésite point, sépare-t'en violemment. «Et si ta main droite te fait tomber dans le péché, coupe-la et jette-la loin de toi; car il vaut mieux pour toi qu'un de tes membres périsse, que si tout ton corps était jeté dans la Géhenne.» Si une personne qui semble t'être aussi nécessaire que ta main droite est pour toi une occasion de péché, de désir impur; quand même ce péché n'irait pas plus loin que ton coeur et ne se manifesterait ni en parole, ni en action, impose-toi une séparation complète et définitive, retranche cette main droite d'un seul coup, abandonne tout pour Dieu. Plaisirs, fortune, amis, il faut tout perdre plutôt que de perdre ton âme.

Il n'y a que deux mesures qu'on puisse tenter avant d'en venir à cette séparation absolue et définitive. Premièrement, essaie si tu ne peux chasser l'esprit impur par le jeûne et par la prière, et en t'abstenant soigneusement de toute action, de toute parole et de tout regard, que tu as reconnu être pour toi une occasion de péché. En second lieu, si tu n'es pas délivré par ce moyen, demande conseil à celui qui veille sur ton âme, ou du moins à quelque personne expérimentée dans les voies du Seigneur, au sujet du temps et de la manière d'opérer cette séparation; mais ne consulte point la chair ni le sang, de peur que tu ne sois abandonné «à un esprit qui donnera efficace à l'erreur» pour te faire croire au mensonge.

Et le mariage lui-même, saint et honorable comme il l'est, ne peut servir de prétexte pour lâcher la bride à nos désirs. Il est vrai «qu'il a été dit : Si quelqu'un répudie sa femme, qu'il lui donne la lettre de divorce;» et alors tout allait bien, quand même le mari n'aurait donné d'autre motif de son divorce, que son peu de sympathie pour sa femme, ou son amour pour une autre femme. «Mais moi je vous dis que quiconque répudiera sa femme, si ce n'est pour cause d'adultère, il l'expose à devenir adultère,» si elle vient à se remarier ; «et que quiconque se mariera à la femme qui aura été répudiée, commet un adultère.»

Toute polygamie est clairement défendue par ces paroles, où notre Seigneur déclare expressément, que pour une femme dont le mari est encore vivant, se remarier est un adultère. Par la même raison, c'est un adultère pour un homme de se remarier, aussi longtemps qu'il a une femme encore vivante, fussent-ils même divorcés; à moins que ce divorce n'ait pour cause l'adultère, car dans ce cas seul, il n'y a aucun texte de l'Écriture qui défende de se remarier.

Telle est la pureté de coeur que Dieu exige, et qu'il produit lui-même en ceux qui croient au Fils de son amour. Heureux ceux qui ont ainsi le coeur pur, car ils verront Dieu ; il se manifestera lui-même à eux, non seulement comme il ne se montre pas au monde, mais comme il ne le fait pas toujours à ses propres enfants ! Il les favorisera des communications les plus éclatantes de son Esprit, de la communion la plus intime avec le Père et avec le Fils. Il les fera continuellement marcher en sa présence et fera toujours briller sur eux la lumière de sa face. La prière incessante de leur coeur est : «Je te prie, fais-moi voir ta gloire,» et ils obtiennent ce qu'ils réclament ainsi de lui. Ils le voient maintenant par la foi, -- le voile de la chair étant rendu, pour ainsi dire, transparent; -- ils le voient même dans ses oeuvres inférieures qui nous environnent, dans tout ce que Dieu a fait et créé. Ils le voient remplissant toutes choses et accomplissant tout en tous. Ceux qui ont le coeur pur voient toute la création remplie de Dieu. Ils le voient dans la voûte des cieux, dans la lune lorsqu'elle est claire, dans le soleil lorsqu'il «se réjouit comme un homme vaillant pour faire sa course.» Ils le voient «faisant des grosses nuées son chariot et se promenant sur les ailes du vent.» Ils le voient «préparant la pluie pour la terre et en bénissant le fruit, faisant germer le foin pour le bétail et l'herbe pour le service de l'homme.» Ils voient le Créateur de tout, gouvernant tout avec sagesse, et «soutenant toutes choses par sa parole puissante.» «Eternel notre Seigneur, que ton nom est magnifique par toute la terre !»

C'est aussi dans les dispensations de sa providence à leur égard, soit pour l'âme, soit pour le corps, que ceux qui ont le coeur pur voient Dieu plus particulièrement. Ils voient sa main continuellement étendue sur eux pour leur faire du bien, leur distribuant toutes choses dans la mesure convenable, tenant compte des cheveux de leur tête, dressant une haie protectrice autour d'eux et de tout ce qui leur appartient, et disposant toutes les circonstances de leur vie selon la profondeur de sa sagesse et de sa miséricorde.

Mais c'est surtout dans les moyens de grâce qu'il a institués qu'ils voient Dieu d'une manière plus spéciale, soit qu'ils se présentent dans la grande assemblée «pour rendre à l'Éternel la gloire due à son nom» et pour l'adorer dans la magnificence de sa sainteté, ou qu'ils «entrent dans leur cabinet,» et que là ils répandent leur âme devant leur «Père qui les voit dans le secret ;» soit qu'ils sondent les oracles de Dieu ou qu'ils écoutent les ambassadeurs de Christ proclamant la bonne nouvelle du salut, soit enfin qu'ils «mangent de ce pain et boivent de cette coupe, qui annoncent la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne» sur les nuées du ciel ; -- dans tous ces moyens de grâce désignés par Dieu lui-même, ils trouvent auprès de lui un accès intime que la tangue ne peut exprimer. Ils le voient, pour ainsi dire, face à face ; ils parlent avec lui «comme un homme parte avec son intime ami,» et se préparent ainsi pour ces demeures célestes où ils le verront tel qu'il est.

Mais combien ils sont loin de voir Dieu ceux qui, ayant «entendu qu'il a été dit aux anciens : Tu ne te parjureras point, mais tu t'acquitteras envers le Seigneur de ce que tu auras promis avec serment (Mat 5:33),» interprètent ainsi cette défense : Tu ne te parjureras pas, lorsque tu jures par l'Éternel ton Seigneur; tu t'acquitteras envers le Seigneur de ce que tu auras promis avec serment par le nom de l'Éternel, mais quant aux autres serments, Dieu ne s'en met pas en peine.

C'est ainsi qu'enseignaient les Pharisiens. Non seulement ils permettaient toute espèce de jurements dans la conversation ordinaire; mais ils regardaient même le parjure comme peu de chose, pourvu qu'on n'eût pas juré par le nom particulier de Dieu.

Mais notre Seigneur défend ici d'une manière absolue tous les jurements dans la conversation, aussi bien que toute espèce de faux serments, et il montre le caractère odieux de tous les deux par une même considération solennelle, savoir : que toute créature appartient à Dieu et qu'il est présent en tous lieux, qu'il est en toutes choses et par-dessus toutes choses. «Je vous dis : Ne jurez du tout point, ni par le ciel, car c'est le trône de Dieu ;» et c'est par conséquent la même chose que de jurer par Celui qui est assis sur l'étendue des cieux ; «ni par la terre, car c'est son marchepied,» et il est aussi réellement présent sur la terre que dans le ciel ; «ni par Jérusalem, car c'est la grande ville du Roi,» et Dieu «est connu dans ses palais.» «Ne jure pas non plus par ta tête, car tu ne peux faire devenir un seul cheveu blanc ou noir,» parce que même cette petite chose n'est point en ta puissance, mais en celle de Dieu, qui seul peut disposer de tout ce qui existe dans le ciel et sur la terre. «Mais que votre parole soit : oui, oui, non, non,» une affirmation ou une négation simple mais sérieuse, car, «ce qu'on dinde plus vient du malin,» procède du démon et est une marque de ses enfants.

Pour se convaincre que notre Seigneur n'entend point ici défendre le serment fait pour attester la vérité en jugement, quand nous en sommes requis par un magistrat; il suffit de considérer :

1° l'occasion de cette partie de son discours, l'abus qu'il veut condamner ici, savoir : le faux serment et les jurements ordinaires ; le serment devant un magistrat étant tout-à-fait étranger à la question.

2° Les mots mêmes qu'il emploie pour la conclusion générale de son précepte : «Que votre parole soit, oui, oui, non, non.»

3° L'exemple même de notre Seigneur, car il répondit lui-même avec serment, quand il y fut appelé par un magistrat. Quand le souverain sacrificateur lui dit : «Je t'adjure, par le Dieu vivant, de nous dire si tu es le Christ le Fils de Dieu?» Jésus répondit aussitôt affirmativement : «Tu l'as dit,» c'est la vérité ; «et même je vous dis que vous verrez ci-après le Fils de l'homme assis à la droite de la puissance de Dieu et venant sur les nuées du ciel (Mat 26:63,64).»

4° de Dieu, du Père; qui, «voulant montrer encore mieux aux héritiers de la promesse la fermeté immuable de sa résolution, y fit intervenir le serment (Heb 6:17).»

5° L'exemple de saint Paul, qui avait aussi, croyons-nous, l'Esprit de Dieu et comprenait bien la volonté de son Maître : «Dieu m'est témoin, dit-il aux Romains (Ro 1:9), que je fais sans cesse mention de vous dans mes prières.» Et aux Corinthiens (1Co 2:1; 2Co 1:23) : «Je prends Dieu à témoin sur mon âme, que c'a été pour vous épargner que je ne suis point encore allé à Corinthe.» Et aux Philippiens (Phi 1:8) : «Dieu m'est témoin que je vous chéris tous d'une affection cordiale en Jésus-Christ,» De là résulte inévitablement que, si l'apôtre connaissait bien la vraie signification des paroles de son Maître, elles ne défendent pas l'emploi du serment dans des occasions importantes, même entre particulier, et combien moins par conséquent devant un magistrat !

6° Enfin cette assertion du grand apôtre au sujet du serment solennel en général (ce qu'il eût été impossible de mentionner sans y joindre quelque indication de blâme, si son Maître l'avait complètement défendu) : «Les hommes jurent par Celui qui est plus grand qu'eux, et le serment fait pour confirmer une chose termine tous les différends (Heb 6:16).»

Mais la grande leçon que notre Sauveur veut nous inculquer ici et qu'il développe par cet exemple, c'est que Dieu est en toutes choses, et que nous devons voir Dieu en toute créature, comme dans un miroir; que nous ne devons considérer aucune chose, ni en user, en la séparant de Dieu, ce qui ne serait réellement qu'une espèce d'athéisme pratique ; mais que nous devons, selon la magnifique expression du prophète, regarder le ciel et la terre et tout ce qui y est contenu, comme renfermés dans le creux de la main de Dieu qui, par sa présence intime, leur conserve l'existence, qui remplit et met en action toute la création sensible, et est, dans le sens vrai, l'âme de l'univers.

Jusqu'ici notre Seigneur s'est occupé plus particulièrement de nous enseigner la religion du coeur et de nous montrer ce que les chrétiens doivent être. Il va nous montrer maintenant ce qu'ils doivent aussi faire, comment la sainteté intérieure doit se traduire dans notre conduite extérieure ; «Heureux, dit-il, ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés enfants de Dieu !»

Il est bien connu que, dans le langage des saintes Écritures, «la paix» comprend souvent toute espèce de bien, toute bénédiction qui se rapporte au corps et à l'âme, au temps comme à l'éternité. Ainsi, lorsque saint Paul, dans le titre de ses Épîtres, souhaite la grâce et la paix aux Romains ou aux Corinthiens, c'est comme s'il disait : Puissiez-vous, comme fruit de l'amour et de la faveur, libres et immérités de Dieu, jouir de toute bénédiction spirituelle et temporelle, de toutes les bonnes choses que Dieu a préparées pour ceux qui l'aiment !

De là nous pouvons aisément comprendre quel sens étendu nous devons attribuer à cette expression «Ceux qui procurent la paix.» Dans sa signification littérale, elle renferme ces amis de Dieu et des hommes qui détestent et abhorrent profondément toute querelle et tout débat, tout désaccord et toute contention, et qui travaillent conséquemment de toutes leurs forces à empêcher ce feu d'enfer de s'allumer, d'éclater s'il est déjà allumé, ou s'il a déjà éclaté, de s'étendre davantage. Ils s'efforcent d'apaiser les tempêtes qui s'élèvent dans les esprits des hommes, de calmer les passions turbulentes, d'adoucir les esprits divisés, et, s'il est possible, de les réconcilier ensemble. Ils emploient toutes leurs forces, tous les talents que Dieu leur a donnés, à conserver la paix là où elle existe, et à la rétablir là où elle n'existe pas. C'est la joie de leur coeur de procurer, de confirmer, d'accroître la bienveillance mutuelle entre tous les hommes, mais surtout entre les enfants de Dieu, quoiqu'ils puissent se distinguer les uns des autres par des choses de moindre importance ; en sorte que, comme ils ont «un seul Seigneur et une seule foi,» comme ils sont «appelés à une seule espérance,» ils puissent aussi «marcher d'une manière digne de leur vocation, avec toute sorte d'humilité et de douceur, avec un esprit patient, se supportant les uns les autres avec charité, ayant soin de conserver l'unité de l'Esprit par le lien de la paix.»

Mais, dans le sens complet du mot, celui qui procure la paix est un homme qui, selon qu'il en trouve l'occasion, fait du bien à tous ;» un homme qui, rempli de l'amour de Dieu et de toute l'humanité ne peut en borner l'expression à sa propre famille, à ses amis, à ses connaissances, à son parti, à ceux qui partagent ses opinions, ni même à ceux qui participent avec lui à la même précieuse foi; mais qui franchit toutes ces étroites barrières, afin de pouvoir faire du bien à tous les hommes, afin de pouvoir, d'une manière ou d'une autre, manifester son amour aux voisins et aux étrangers, à ses amis et à ses ennemis. Il leur fait du bien à tous, selon l'opportunité, c'est-à-dire, en toute occasion possible, «rachetant le temps» à cet effet, saisissant chaque circonstance favorable, mettant à profit chaque instant, ne perdant pas un moment pour se rendre utile à autrui. Il fait le bien, non d'une manière particulière, mais le bien en général, de toute manière possible ; en y employant tous les talents divers dont il est doué, toutes les puissances et toutes les facultés de son corps et de son âme, toute sa fortune, son intérêt, sa réputation, sans aucun autre désir que d'entendre dire, à son Maître quand il arrivera :«Cela va bien, bon et fidèle serviteur.

Il fait du bien, dans toute l'étendue de sa puissance, même aux corps des hommes. Il se réjouit de partager son pain avec celui qui a faim, et de couvrir d'un habillement celui qui est nu. Quelqu'un est-il étranger? il le recueille et le secourt selon ses besoins. Y a-t-il des malades ou des prisonniers? il les visite et leur fournit ce qui leur est nécessaire. Et tout cela, il le fait, non comme à un homme, mais en se rappelant celui qui a dit : «en tant que vous avez fait ces choses à l'un de ces plus petits de mes frères, vous me les avez faites» à moi-même.

Combien plus encore ne se réjouit-il pas, s'il peut faire quelque bien à l'âme d'un homme ! Ce pouvoir, il est vrai, n'appartient qu'à Dieu ; il n'y a que lui qui puisse changer le coeur, changement sans lequel tout autre changement est plus léger que la vanité. Néanmoins, il a plu à Celui qui fait tout en tous, de secourir l'homme principalement au moyen de l'homme, de communiquer sa propre puissance, sa bénédiction et son amour à chaque homme par le canal d'un autre homme. Par conséquent, quoiqu'il soit certain que tout ce qui est fait sur la terre est fait par Dieu lui-même, aucun homme ne doit, pour ce motif, demeurer inactif dans la vigne de son Maître. Cette inaction est impossible à celui qui veut procurer la paix, il est toujours occupé à travailler, et, comme un instrument dans la main de Dieu, à préparer le terrain pour son Maître, à semer la semence du royaume, ou à arroser ce qui est déjà semé, dans l'espoir que Dieu donnera l'accroissement. Selon la mesure de grâce qui lui a été départie, il met tous ses soins soit à reprendre les pécheurs scandaleux, et à avertir ceux qui se précipitent tête baissée dans le chemin large de la perdition, soit à apporter la lumière à ceux qui sont «assis dans les ténèbres» et prêts à périr «faute de connaissance,» à «supporter les faibles,» à «fortifier les mains affaiblies et les genoux relâchés,» ou à «guérir et ramener ceux qui sont boiteux ou égarés.» Il n'a pas moins de zèle pour venir en aide à ceux qui s'efforcent déjà d'entrer par la porte étroite, pour encourager ceux qui sont debout à poursuivre constamment la course qui leur est proposée pour édifier sur leur très sainte foi ceux qui savent en qui ils ont cru, et les exhorter : rallumer le don de Dieu qui est en eux afin que, croissant chaque jour dans la grâce, «l'entrée au royaume; éternel de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ leur soit pleinement accordée.»

Heureux ceux qui sont ainsi continuellement employés dans cette oeuvre de foi et dans ce travail d'amour, «car ils seront appelés,» c'est-à-dire, suivant un hébraïsme commun, ils seront «enfants de Dieu.» Dieu leur continuera la jouissance de l'Esprit d'adoption, et même il en répandra dans leurs coeurs une mesure plus abondante; il les bénira de toutes les bénédictions qui appartiennent à ses enfants ; il les reconnaîtra comme ses enfants devant les anges et devant les hommes; et, «s'ils sont enfants, ils sont aussi héritiers, héritiers de Dieu, cohéritiers de Christ.»

On pourrait s'imaginer qu'un homme, tel qu'on vient de le décrire, si rempli d'une humilité sincère et d'un sérieux sans affectation, si doux et si paisible, si pur de toute intention égoïste, si dévoué à Dieu et si actif dans son amour pour les hommes, doit être chéri par tous ses semblables. Mais notre Seigneur connaissait mieux la nature humaine telle qu'elle est dans son état actuel.

Il complète donc le portrait de cet homme de Dieu, en montrant quel traitement il doit attendre du monde : «Heureux, dit-il, ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des cieux est à eux.»

Pour comprendre pleinement cette déclaration, examinons d'abord quels sont ceux qui sont persécutés? Nous l'apprendrons de la bouche de saint Paul : «Comme alors celui qui était né selon la chair persécutait celui qui était né selon l'Esprit, il en est de même maintenant (Gal 4:29).» «Aussi, tous ceux qui veulent vivre dans la piété selon Jésus-Christ seront persécutés (2Ti 3:12).» Saint Jean nous enseigne la même chose «Mes frères, ne vous étonnez point si le monde vous hait. Quand nous aimons nos frères, nous connaissons par là que nous sommes passés de la mort à la vie (1Jn 3:13,14).» C'est comme s'il disait : Les frères, les chrétiens, ne peuvent être aimés que par ceux qui sont passés de la mort à la vie. Et notre Seigneur nous le déclare aussi très expressément lui-même : «Si le monde vous hait, sachez qu'il m'a haï avant vous. Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui serait à lui; mais parce que vous n'êtes pas du monde? c'est pour cela que le monde vous hait. Souvenez-vous de la parole que je vous ai dite, que le serviteur n'est pas plus grand que son maître. S'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi (Jea 15:18-20).»

Tous ces textes montrent clairement quels sont ceux qui sont persécutés, savoir : les justes: -- «Celui qui est né de l'Esprit;» -- «tous ceux qui vivent dans la piété selon Jésus-Christ;» -- ceux qui «sont passés de la mort à la vie;» -- ceux qui «ne sont pas du monde;» -- tous ceux qui sont doux et humbles de coeur, qui pleurent après Dieu, qui ont faim et soif de sa ressemblance; tous ceux qui aiment Dieu et leur prochain, et qui, en conséquence, selon qu'ils en trouvent l'occasion, font du bien à tous les hommes.

Si l'on demande, en second lieu, pourquoi ils sont persécutés, la réponse est tout aussi simple et claire. C'est «pour la justice,» parce qu'ils sont justes, parce qu'ils sont nés selon l'Esprit, parce qu'ils veulent vivre dans la piété selon Jésus-Christ, parce qu'ils ne sont pas du monde. Quel que puisse être le prétexte mis en avant, c'est là le véritable motif. Quelles que soient d'ailleurs leurs infirmités personnelles, si ce n'était pour ce seul motif, on les supporterait, et le monde aimerait ce qui serait à lui. Ils sont persécutés, parce qu'ils sont pauvres en esprit, c'est-à-dire, comme le dit le monde : «des gens pauvres d'esprit, à l'âme basse et lâche, qui ne sont bons à rien et ne sont pas faits pour vivre dans le monde.» -- Parce qu'ils sont dans l'affliction : «ce sont des créatures si lourdes, si tristes, si ennuyeuses! Il suffit de les voir pour avoir l'esprit tout assombri. Ce sont de véritables têtes de mort; ils proscrivent toute joie, même innocente, et troublent toute compagnie où ils entrent.» -- Parce qu'ils sont débonnaires : «des fous sans énergie, qui ne sont bons qu'à se laisser molester, fouler aux pieds.» -- Parce qu'ils ont faim et soif de la justice : «une poignée d'enthousiastes à tête chaude, courant, bouche béante, après ils ne savent quoi, ne pouvant se contenter d'une religion raisonnable, mais se rendant fous à la poursuite des extases et des sensations intérieures.» -- Parce qu'ils sont miséricordieux, amis de tous les hommes, amis même des méchants et des ingrats : «Encourageant toute espèce de méchanceté et même induisant les gens à faire du mal par l'espérance de l'impunité; des hommes qui, il y a lieu de le craindre, sont encore, malgré toutes leurs prétentions, sans règle religieuse, étant très relâchés dans leurs principes.» -- Parce qu'ils ont le coeur pur : «des créatures sans charité, qui damnent tout le monde, excepté ceux de leur espèce! Misérables blasphémateurs qui veulent faire Dieu menteur, en prétendant vivre sans péché!» -- Et par-dessus tout, parce qu'ils procurent la paix, parce qu'ils saisissent toute occasion de faire du bien à tous les hommes. C'est là la grande raison pour laquelle ils ont été persécutés de tout temps et le seront encore jusqu'au rétablissement de toutes choses : «s'ils voulaient seulement garder leur religion pour eux-mêmes, ce serait encore supportable ; mais c'est cette manie de répandre leurs erreurs et d'en infecter les autres, qu'on ne peut endurer. Ils font tant de mal dans le monde, qu'il est impossible de les supporter plus longtemps. Il y a en eux, il est vrai, quelques choses assez bonnes; ils soulagent quelques pauvres; mais ce n'est que pour mieux attirer les gens à leur parti, et pour faire ainsi, en définitive, encore plus de mal.»

C'est ainsi que pensent et s'expriment, avec toute sincérité, les gens du monde; et plus le royaume de Dieu s'étend, plus les hommes qui procurent la paix sont rendus capables de propager l'humilité, la douceur et toutes les autres dispositions divines, plus aux yeux du monde le mal est grand, et plus, par conséquent, ils s'irritent contre ceux qui en sont les auteurs, et les poursuivent avec une véhémence croissante.

Voyons, en troisième lieu, quels sont ceux qui les persécutent? Saint Paul nous répond : «Celui qui est né selon la chair.» Tous ceux qui ne sont pas «nés de l'Esprit,» ou qui au moins ne sont pas désireux de l'être ; tous ceux qui n'essaient pas au moins «de vivre dans la piété, selon Jésus-Christ;» tous ceux qui ne sont pas «passés de la mort à la vie,» et qui, par conséquent, ne peuvent «aimer leurs frères;» «le monde,» c'est-à-dire, suivant l'explication de notre Sauveur, ceux qui «ne connaissent point Celui qui m'a envoyé,» ceux qui n'ont pas appris à connaître Dieu, le Dieu d'amour et de pardon, par l'enseignement de son Esprit.

La raison pour laquelle ceux-ci persécutent les enfants de Dieu est bien simple : l'esprit qui est dans le monde est directement contraire à l'esprit qui vient de Dieu. Il doit donc nécessairement se faire que ceux qui sont du monde soient opposés à ceux qui sont de Dieu. Il y a entre eux l'opposition la plus profonde dans toutes leurs opinions, leurs désirs, leurs intentions et leurs dispositions. Le léopard et le chevreau ne peuvent gîter paisiblement ensemble. L'orgueilleux, par le fait qu'il est orgueilleux, ne peut faire autrement que de persécuter celui qui est humble; l'homme léger et folâtre, celui qui est dans l'affliction; et ainsi de suite, la diversité d'humeur étant à elle seule un prétexte suffisant d'inimitié perpétuelle. Par conséquent, ne fût-ce que pour ce seul motif, tous les serviteurs du démon persécuteront les enfants de Dieu.

Si l'on demandait, quatrièmement, comment les persécuteront-ils? On peut répondre, en général : Justement de la manière et dans la mesure que le sage Dispensateur de toutes choses jugera les plus convenables pour sa gloire, et les plus efficaces pour les progrès de ses enfants dans la grâce et pour l'agrandissement de son propre royaume. Il n'y a dans le gouvernement de Dieu rien de plus admirable que cela. Son oreille n'est jamais fermée aux menaces des persécuteurs, ni aux cris des persécutés; son oeil est toujours ouvert, et sa main toujours étendue pour diriger chacune des plus petites circonstances de la persécution. Quand la tempête doit commencer, à quelle hauteur elle doit s'élever, dans quelle direction elle doit s'étendre, quand et comment elle doit finir, tout est déterminé par son infaillible sagesse. Les impies ne sont qu'une épée dans sa main, un instrument dont il se sert selon son bon plaisir, et qu'il jette dans le feu quand il a accompli les desseins gracieux de sa providence.

Dans quelques rares circonstances, comme lorsque le christianisme fut d'abord planté et pendant qu'il prenait racine dans la terre, comme aussi quand la pure doctrine de Christ commença à être rétablie dans notre patrie, Dieu permit à la tempête de sévir avec violence, et ses enfants furent appelés à résister jusqu'au sang. Il y avait une raison particulière de permettre cela quant aux apôtres, afin que leur témoignage n'en fût que plus irrécusable. Mais les annales de l'Église nous apprennent une autre raison bien différente des cruelles persécutions qu'il a permises dans le second et le troisième siècle, savoir «le mystère d'iniquité qui se formait déjà,» les monstrueuses corruptions qui régnaient dès lors dans l'Église. Dieu châtiait son peuple, et en même temps s'efforçait de guérir ses plaies par ces jugements sévères mais indispensables.

Peut-être la même observation s'applique-t-elle à la grande persécution de notre pays (l'Angleterre). Dieu avait agi très miséricordieusement envers notre nation; il avait répandu sur nous diverses bénédictions; il nous avait donné la paix au dedans et au dehors, et un roi (Edouard VI) sage et bon au-dessus de son âge, et, par-dessus tout, il avait fait naître et briller parmi nous la pure lumière de l'Evangile. Mais que trouva-t-il en retour? «Il attendait de la justice, et voici le cri,» un cri d'oppression, d'ambition et d'injustice, de malice, de fraude et de convoitise. Oui, le cri de ceux qui même alors expiraient dans les flammes, parvint jusqu'aux oreilles du Seigneur des armées. C'est alors que Dieu se leva pour défendre sa propre cause contre ceux qui supprimaient la vérité injustement; il les vendit entre les mains de leurs persécuteurs par un jugement mêlé de miséricorde, châtiment pour punir les affligeantes infidélités de son peuple, et en même temps remède pour les guérir.

Mais il est rare que Dieu permette à la tempête de s'élever jusqu'aux tortures, à la mort, aux fers ou à l'emprisonnement. Ses enfants sont appelés habituellement à endurer des persécutions plus légères. Ils souffrent fréquemment l'aliénation des coeurs de leurs parents, la perte des amis qui étaient comme leur propre âme. Ils éprouvent la vérité de cette parole de leur Maître, concernant, non le but, mais l'effet de sa venue : «Pensez-vous que je sois venu apporter la paix sur la terre? Non, vous dis-je, mais plutôt la division (Lu 12:51).» De là résulte naturellement la perte de leurs occupations, de leurs affaires, et par suite de leurs biens. Mais tous ces événements sont également sous la sage direction de Dieu, qui dispense à chacun ce qui lui est le plus salutaire.

Mais la persécution qui attend tous les enfants de Dieu est celle que notre Seigneur indique dans ces paroles : «Vous serez heureux lorsque, à cause de moi, on vous dira des injures, qu'on vous persécutera,» par des paroles injurieuses, «et qu'on dira faussement contre vous toute sorte de mal.» Cela ne peut manquer; c'est le caractère propre de notre état de disciples, c'est un des sceaux de notre vocation, c'est une portion assurée et acquise à tous les enfants de Dieu. Si nous ne possédons pas cette part, nous sommes des bâtards et non point des enfants légitimes; c'est droit au milieu de la mauvaise réputation, comme de la bonne, que passe le seul chemin du royaume. Les amis de Dieu et des hommes, doux, sérieux, humbles et zélés, jouissent d'une bonne réputation parmi leurs frères, mais ils en ont une mauvaise auprès du monde, qui les regarde et les traite «comme les balayures du monde et le rebut de toute la terre.»

On a supposé, if est vrai, qu'avant que «la multitude des Gentils ne soit entrée» dans l'Eglise, le scandale de la croix cessera, et que Dieu fera que les chrétiens soient estimés et chéris même par ceux qui sont encore dans leurs péchés. Oui, sans doute, et même, dès à présent, il suspend quelquefois le mépris aussi bien que fa férocité des hommes; pour un temps, il donne à un homme la paix avec ses ennemis et lui fait trouver faveur auprès de ses plus cruels persécuteurs; mais, à part cette circonstance exceptionnelle, le scandale de la croix n'a pas encore cessé, et l'on peut encore dire : «Si je cherchais à plaire aux hommes, je ne serais pas serviteur de Christ.» Que personne donc ne se laisse prendre à cette agréable suggestion (agréable sans doute à la chair et au sang), savoir que les méchants prétendent bien haïr et mépriser les gens de bien, mais que dans leurs coeurs ils les aiment et les estiment réellement. Il n'en est rien; ils peuvent bien les employer quelquefois, mais c'est uniquement pour leur propre avantage. Ils peuvent bien se confier à eux, car ils savent que leurs voies ne ressemblent pas à celles des autres hommes, mais ils ne les aiment cependant point, à moins que l'Esprit de Dieu n'agisse en eux. Les paroles de notre Sauveur sont expresses :

«Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui serait à lui; mais parce que vous n'êtes pas du monde, c'est pour cela que le monde vous hait.» Oui, mettant à part les exceptions que peut produire la grâce prévenante ou quelque providence particulière de Dieu, le monde hait les disciples aussi cordialement et aussi sincèrement qu'il a jamais bai le Maître.

Il ne reste plus qu'à demander : Comment les enfants de Dieu doivent-ils se conduire à l'égard de la persécution? Et d'abord ils ne doivent pas sciemment ou de propos délibéré l'attirer sur eux-mêmes. Ce serait contraire à la fois aux exemples et aux avertissements de notre Seigneur et de tous ses apôtres, qui nous enseignent non seulement à ne pas rechercher la persécution, mais à l'éviter, autant que faire se peut, sans faire tort à notre conscience, sans renoncer à aucune partie de cette justice que nous devons préférer à la vie elle-même. C'est ainsi que notre Seigneur dit expressément : «Quand ils vous persécuteront dans une ville, fuyez dans une autre;» ce qui est réellement, quand on peut le faire, la manière la plus irréprochable d'éviter la persécution.

Cependant ne vous imaginez pas que vous puissiez toujours l'éviter de cette manière ou de toute autre. Si jamais cette vaine imagination se glisse dans votre coeur, écartez-la par ce sérieux avertissement : «Souvenez-vous de la parole que je vous ai dite, que le serviteur n'est pas plus grand que son Seigneur. S'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi.» «Soyez prudents comme des serpents et simples comme des colombes.» Mais cela vous garantira-t-il de la persécution? Non, à moins que vous n'ayez plus de sagesse que votre Maître ou plus d'innocence que l'Agneau de Dieu...

Ne désirez pas non plus l'éviter et y échapper totalement; car si vous le faites, vous n'êtes pas des siens. Si vous échappez à la persécution, vous perdez la bénédiction, la bénédiction promise à ceux qui sont persécutés pour la justice. Si vous n'êtes pas persécutés pour la justice, vous ne pouvez entrer dans le royaume des cieux. «Si nous souffrons avec lui, nous règnerons aussi avec lui; si nous le renions, il nous reniera aussi.»

Réjouissez-vous,» au contraire, «et tressaillez de joie,» quand les hommes vous persécutent pour l'amour de Jésus, quand ils vous persécutent par des paroles injurieuses et «en disant faussement contre vous toute sorte de mal,» ce qu'ils ne manqueront pas d'ajouter à tout genre de persécution : il faut bien qu'ils vous noircissent pour s'excuser eux-mêmes. «Car on a ainsi persécuté les prophètes qui ont été avant vous,» ceux qui étaient le plus éminemment saints dans leur coeur et dans leur vie, tous les justes, en un mot, qui ont jamais existé depuis le commencement du monde. Réjouissez-vous, parce que, à cette marque aussi, vous pouvez reconnaître à qui vous appartenez, et «parce que votre récompense sera grande dans les cieux,» la récompense acquise par le sang de l'alliance et accordée gratuitement en proportion de vos souffrances aussi bien que de votre sainteté de coeur et de vie. «Tressaillez de joie,» sachant que «votre légère affliction du temps présent produit en vous le poids éternel d'une gloire infiniment excellente.»

En attendant, qu'aucune persécution ne puisse vous détourner de la voie de l'humilité et de la douceur, de l'amour et de la bienfaisance. «Vous avez entendu,» sans doute, «qu'il a été dit : Oeil pour oeil et dent pour dent,» et vos misérables docteurs vous ont permis de vous venger vous-mêmes et de rendre le mal pour le mal. «Mais moi je vous dis de ne pas résister à celui qui vous fait du mal,» de ne pas lui résister de cette manière en lui rendant le mal qu'il vous fait; mais plutôt que de faire cela, «si quelqu'un te frappe à la joue droite, présente-lui aussi l'autre; et si quelqu'un veut plaider contre toi et t'ôter ta robe, laisse-lui encore l'habit; et si quelqu'un veut te contraindre d'aller une lieue avec lui, vas-en deux.»

Que ta douceur soit ainsi inaltérable et que ton amour égale ta douceur . «Donne à celui qui te demande et ne te détourne pas de celui qui veut emprunter de toi.» Seulement ne donne point ce qui est à autrui, ce qui ne t'appartient point. Par conséquent, prends garde de ne rien devoir à personne; car ce que tu dois n'est point à toi, mais à autrui. Subviens aux besoins de ceux de ta propre maison, car Dieu exige aussi cela de toi; et ce qui est nécessaire pour les maintenir en vie et dans la piété n'est pas non plus à toi. Après cela, donne ou prête tout ce qui te reste, de jour en jour, ou d'année en année; seulement, puisque tu ne peux donner à tous, souviens-toi d'abord des domestiques de la foi.

Dans les versets qui suivent, le Sauveur nous dépeint la débonnaireté et l'amour que nous devons éprouver pour ceux qui nous persécutent à cause de la justice, et la bonté que nous devons leur témoigner. Oh! puissent ces paroles être gravées dans nos coeurs! «Vous avez entendu qu'il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi (Mat 5:43).» Dieu, il est vrai, n'avait prononcé que la première partie de cette phrase, «tu aimeras ton prochain;» les enfants du diable avaient ajouté la seconde, «tu haïras ton ennemi.» Mais moi je vous dis : 1° «Aimez vos ennemis.» Ayez soin d'être portés de bonne volonté envers ceux dont l'esprit est le plus aigri contre vous et qui vous souhaitent toute sorte de mal. 2° «Bénissez ceux qui vous maudissent.» Y en a-t-il parmi eux dont l'amertume d'esprit éclate en paroles amères? qui soient continuellement à vous maudire et à vous accabler de reproches quand vous êtes présents, et à dire toute sorte de mal contre vous quand vous êtes absents? Bénissez-les d'autant plus : en parlant avec eux, employez le langage le plus doux et le plus paisible. Reprenez-les en leur montrant comment ils auraient dû parler. Et, en parlant d'eux, dites-en tout le bien possible, sans violer les règles de la vérité et de la justice. 3° «Faites du bien à ceux qui vous haïssent,» que vos actions témoignent que votre amour est aussi réel que leur haine. Rendez le bien pour le mal. «Ne vous laissez point surmonter par le mal, mais surmontez le mal par le bien.» 4° Si vous ne pouvez faire plus, au moins «priez pour ceux qui vous outragent et vous persécutent.» Vous ne pouvez jamais être incapables de le faire; toute leur malice et leur violence ne peuvent vous en empêcher. Répandez vos âmes devant Dieu, non seulement pour ceux qui vous ont persécutés jadis, mais qui se repentent maintenant; -- c'est là peu de chose; «si ton frère revient vers toi sept fois le jour et te dit : je me repens (Lu 17:4),» c'est-à-dire, si après même de si nombreuses rechutes, il te donne sujet de croire qu'il est réellement et complètement changé, alors tu lui pardonneras jusqu'à te confier à lui et le presser sur ton sein, comme s'il n'avait jamais péché contre toi; -- mais, prie pour ceux qui ne se repentent pas, lutte avec Dieu pour ceux qui, dans ce moment même, t'outragent et te persécutent. Pardonne-leur ainsi, «non pas seulement jusqu'à sept fois, mais jusqu'à septante fois sept fois (Mat 18:22).» Qu'ils se repentent ou non, qu'ils paraissent même s'éloigner de plus en plus du repentir, donnez-leur cependant cette preuve de bonté, «afin que vous soyez les enfants,» que vous prouviez que vous êtes réellement les enfants légitimes «de votre Père qui est dans les cieux,» qui montre sa bonté en répandant même sur ses ennemis les plus endurcis toutes les bénédictions qu'ils sont capables de recevoir; «qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes.» «Car, si vous n'aimez que ceux qui vous aiment, quelle récompense en aurez-vous? Les péagers mêmes n'en font-ils pas autant (Mat 5:46)',» eux qui n'ont aucune prétention religieuse et que vous reconnaissez vous-mêmes comme étant sans Dieu dans le monde?«Et si vous ne faites accueil,» si vous ne montrez de la bonté en paroles ou en actions, «qu'à vos frères,» à vos amis ou à vos parents; «que faites-vous d'extraordinaire?» de plus que ceux qui n'ont point de religion? «Les péagers même n'en font-ils pas autant (Mat 5:47)?» Mais, suivez un meilleur modèle qu'eux, vous chrétiens, «soyez parfaits» en patience, en long support, en miséricorde, en bienfaisance de toute espèce, envers tous, même envers vos plus cruels persécuteurs, «soyez parfaits, comme votre père qui est dans les cieux est parfait (Mat 5:48) ;» c'est-à-dire que votre perfection ait le même caractère, quoiqu'elle ne puisse atteindre au même degré que la sienne.

Voilà le christianisme dans sa forme primitive, tel qu'il nous est exposé par son grand Auteur! Voilà la religion pure de Jésus-Christ! C'est ainsi qu'elle se présente à celui dont les yeux sont ouverts. Voyez ce portrait de Dieu en tant que Dieu est imitable par l'homme; un portrait tracé de la main du Seigneur lui-même. «Voyez, vous qui méprisez, et soyez étonnés, et pâlissez d'effroi,» ou plutôt soyez étonnés et adorez! Ecriez-vous : est-ce là la religion de Jésus de Nazareth, la religion que j'ai persécutée? Que l'on ne me voie plus combattre contre Dieu ! Seigneur, que veux-tu que je fasse? Quelle beauté se manifeste dans l'ensemble de ce tableau! quelle juste symétrie, quelle exacte proportion dans chaque partie! Que le bonheur qui est ici décrit est désirable! Que la sainteté qui nous y est présentée est vénérable! qu'elle est aimable! Voilà l'esprit de la religion, son essence même; voilà les vrais fondements du christianisme. Oh! puissions-nous ne pas être seulement des auditeurs de ces vérités, «semblables à un homme qui regarderait dans un miroir son visage, naturel, et qui, après s'être regardé, s'en irait et oublierait aussitôt quel il était.» Non, mais plutôt «considérons avec attention la loi parfaite, qui est celle de la liberté, et persévérons-y.» Ne nous donnons aucun repos jusqu'à ce que chaque ligne de cette loi soit transcrite dans nos coeurs. Veillons, prions, croyons, aimons, combattons, jusqu'à ce que par le doigt de Dieu chacune de ses parties soit gravée sur notre âme, jusqu'à ce que nous soyons «saints comme Celui qui nous a appelés est saint, » «parfaits comme notre Père qui dans les cieux est parfait.»